mercredi 10 août 2011

Derniers jours en Occident. Komarno, km 1900

Desolee, toujours pas de photos cette semaine... D´ici deux semaines le probleme devrait etre regle !
 

L´Allemagne me regarde partir, l´Autriche me tend les bras.
La route est sublime et chaque village me fait de l´oeil... C´est ainsi qu´un soir, je m´arrete dans un minuscule hameau de carte postale, ou quatre retraités se la coulent douce sur une terrasse. Je leur demande timidement un bout de jardin : celui-ci m´est gracieusement accordé, de l´autre coté de la maison. Je commence a m´installer, tandis qu´eux retournent a leur biere. Pa pour longtemps : les revoila, tout sourire, se poussant du coude comme des gamins. L´une des deux femmes murmure a l´autre : "Allez, vas-y, dis-lui, toi...". Et l´autre de se lancer : "On voulait vous dire... Euh... Si vous préférez, vous pouvez dormir a la maison... Mais c´est comme vous voulez...". En fait de chambre, c´est un véritable appartement qu´on me propose, avec salle de bain et cuisine privatives... Je remercie d´un sourire immense ces quatre inconnus qui a présent s´en vont a reculons et comme a contre-coeur, car ils croient, comme d´habitude, qu´ainsi ils me laissent tranquille. Mais, comme d´habitude, l´envie de communiquer est la plus forte et Bernd revient dix petites minutes plus tard, conjurant sa timidité : "Oh et puis tant pis... Viens boire une biere avec nous s´il te plait !"
Je retrouve donc Bernd, Brigitte et leur couple d´amis qui ne tarde pas a rejoindre ses pénates. Les quatre comperes sont venus passer ici une retraite on ne peut plus douce. Le paysage est sublime, le village, paisible. Brigitte est grande et maigre, l´air toujours un peu affolé. Elle a la gentillesse collée a la peau, mais aussi la mémoire qui lui joue des tours. Alzheimer la traque depuis des mois. C´est Bernd qui me l´explique a mi-voix, pendant qu´elle s´affaire en cuisine. Il prend ca avec calme, peut-etre avec sérénité. Lorsque pendant le diner, Brigitte me demande, pour la troisieme fois, combien de temps prendra mon voyage, il lui répond, toujours avec la meme pointe de tendresse dans la voix : "Dix-huit mois, Brigitte. Tu te rends compte ?" Et elle me regarde, toujours avec le meme air un peu paniqué : " Dix-huit mois ? Mais, ce n´est pas possible... Toute seule ? Mais je vais etre si inquiete..." Drole de couple que ces deux retraités, lui, la sérénité meme, qui semble si bien me comprendre, et elle, qui se raccroche a tout ce qu´elle peut pour ne pas perdre pied, le regarde malgré tout toujours un peu flou pour mieux contraster avec ses gestes fébriles. De temps en temps toutefois, son regard s´éclaire, redevient vif, aiguisé. Quand elle me raconte avec force détails la derniere fete de famille, les enfants qui courent, les grillades dans le jardin. Alors elle s´illumine, rayonne. Bernd la regarde, toujours avec son sourire aussi doux.

Et puis, l´arrivée a Vienne, enfin... Depuis le temps que je l´attendais, depuis le temps que je l´imaginais... La journée de mon arrivée est magnifique. Je ne sais pas si c´est cela, ou le fait que la capitale tant attendue approche pour les cyclistes de tout poil, mais tout le monde a le sourire aux levres aujourd´hui. Meme les groupes entiers de cyclotouristes que je croise sur ma route et qui quotidiennement m´exasperent depuis Donaueshingen me paraissent plaisants. La piste cyclable du Danube, l´autoroute du vélo : il m´arrive souvent de croiser plusieurs fois, sur plusieurs jours, les memes cyclistes, qui prennent le meme chemin que moi en suivant les memes panneaux. Selon les jours, cela me donne une sensation rassurante de déja-vu, ou la désagréable sensation de suivre le troupeau. Aujourd´hui, je suis plutot contente. Pourtant, dans la journée, je croiserai trois fois le meme couple de cyclistes francais, Francois et Marie-Jo, la quarantaine sereine. La premiere fois, ils m´invitent a prendre un café, curieux qu´ils sont de mon périple. La deuxieme, arretés sur le bord de la route, ils me font des grands signes en criant : !Allez Juliette, vas-y !". La troisieme fois, Francois  me rejoint pour me donner leur adresse, quelque part dans le Massif Central.
Et je poursuis ma route seule. J´aime Vienne avant meme de la voir, précisément parce qu´elle ne se laisse découvrir qu´au dernier moment, au dernier des derniers virages danubiens. On tournicote dans les méandres du fleuve, sans trop y prendre garde, on se laisse charmer par les abbayes et les monasteres qui surplombent les collines... Et brusquement, la voila, Vienne ! Et en l´espace de quelques secondes, un tourbillon d´émotions extremes me happe, et me transporte au coeur de la capitale.

De Vienne, j´aime tout. Ses cafés ahurissants sur lesquels je tombe toujours par hasard, fauteuils moelleux et bibliotheques immenses a disposition. Sa maniere de ne se faire aimer vraiment que des flaneurs qui se baladent le nez en l´air, et qui découvrent, par surprise, des statues de toutes sortes sortant des murs, en hauteur, des gargouilles rigolardes émergeant des fenetres et qui semblent toujours dire : ´´je t´ai eu...´´. J´aime ses parcs immenses et ses musiciens de jazz qui jouent tranquillent pour me rappeler de ne pas m´en faire pour le lendemain. J´aime enfin sa grandeur, toujours intacte alors que le 19° siecle est loin, déja. L´age d´or viennois n´est plus, et pourtant la ville est toujours aussi belle, et pourtant les statues des éminents chercheurs d´un autre temps, dans les couloirs de l´université, ou les étoiles dallées des musiciens illustres, sur le trottoir de l´opéra, donnent envie d´y croire encore et de se replonger dans cette fievre culturelle qui secoua l´Europe. Seuls les tours de caleche qui font flores aupres des touristes m´irritent un peu. Vienne mérite un peu plus de subtilité, tout de meme...

Quand on a longtemps attendu l´arrivée dans une ville comme celle-ci, qu´on l´a projetée, imaginée, revée, qu´elle a été notre raison de pédaler pour quelques semaines, il faut toujours ajouter une touche de décalage, sous peine d´etre inévitablement un peu decu. J´ai trouvé celle-ci en Erman et Rafael, les deux gars qui m´accueillent dans leur minuscule appartement qu´ils ont deja du mal a partager a deux. Erman est turc, Rafa espagnol, et les moments que nous passons tous les trois n´ont pas grand chose d´autrichien : on boit du thé a la turque en mangeant des tortillas, le tout dans un rythme ahurissant de flamenco que les enceintes de leur ordinateur diffusent a longueur de journée. Chez eux, on parle en allemand, en anglais, en espagnol... Et de temps a autres, en francais ou en turc. Erman et Rafa sont un peu geek, quand ils me racontent avec enthousiasme leurs boulots respectifs, dans l´informatique ou dans la finance ; un peu musiciens, lorsqu´ils sortent les guitares sur les quais du Danube et jouent et chantent jusque tard dans la nuit ; un peu mamies, lorsqu´ils s´inquietent de comment je vais dormir, et me donnent leurs meilleurs oreillers et leur couette la plus confortable. J´aime découvrir Vienne a travers leurs yeux de jeunes étrangers, enthousiastes et fous amoureux de la ville, critiques pourtant. Erman me raconte le racisme latent qu´il subit régulierement ici, l´hotel ´´réservé aux autrichiens´´ ou il s´est fait refouler une fois. Rafa regrette la froideur de ses collegues, avec qui il sait pertinemment qu´il ne partagera jamais autre chose qu´un local de travail.

En deux jours, nous devenons trois comperes qui se connaissent depuis des lustres. J´aime la discrétion de Rafael, sa gentillesse tout en douceur, l´amour qu´il porte a la musique. Erman, c´est autre chose encore : il parle sans arret, de tout et n´importe quoi. Il passe d´un sujet a l´autre sans prendre le temps de respirer, disserte des heures sur un obscur mathématicien autrichien, sur l´existence de Dieu ou sur une marque de lessive allemande, qui l´amene en trois secondes a élaborer un scénario hallucinant de science fiction ou des agents du FBI sauveraient la terre d´une météorite. Rafael et moi l´écoutons en silence, sourire aux levres. Et lui de continuer sans relache, meme au moment de se coucher : ´´ Tiens, Juliette, ca aussi c´est marrant : une fois, un ami et moi étions a Antallya, en Turquie...´´ Un baillement lui coupe la parole aussi sec : Erman s´est endormi en plein milieu de la phrase. Le lendemain, il se réveille, s´étire, se frotte les yeux : ´´Oui donc, on était a Antallya...´´ Je baille, souris, et décide de rester un jour de plus. En temps normal, tant de bavardages m´auraient peut-etre pesé. Mais apres l´Autriche, c´est la Slovaquie, la Hongrie : des pays inconnus dont je n´ai pas le temps d´apprendre la langue. Je m´apprete a passer une longue semaine silencieuse, alors je me saoule encore, jusqu´a plus soif, de ces paroles qui n´en finissent pas.

Nous nous quittons en nous donnant rendez-vous a Paris, en décembre 2012, pour feter mon retour comme il se doit. Je suis sure qu´ils seront la.
Une cinquantaine de kilometres apres Vienne, a la frontiere slovaque, il me faut prendre un pont pour emjamber le Danube. Je m´arrete une fois dessus. A ma droite, d´ou je viens, les jolies forets de sapins plongent dans l´eau en douceur. A ma gauche, ou je vais, des collines austeres, arides, etonnantes : ce n´est déja plus tout a fait l´occident. Je prends une bonne respitation, jette un dernier coup d´oeil aux forets autrichiennes, et je passe a l´Est.

6 commentaires:

  1. Hey Julietta julietta julietta,
    c'est fou ce que c'est agréable de te lire!
    Tu m'impressionneras toujours; bientôt 2000km!
    Je constate que tu es devenue une pro de la cartographie et de l'orientation. J'espère que tu parfaires ton bronzage de cycliste. Je parle de ton aventure à tout le monde, mes parents ont découpé l'article de l'Est Républicain.
    Je suis vraiment contente de voir que les choses se passent bien, vivement les photos c'est vrai! Je vais continuer à te lire, et essayer de poster des commentaires bien plus souvent.

    Je te fais d'énormes bisous

    Lucile

    P.S: Tu penseras à moi, lors de la publication de tes mémoires ;)

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  2. J'adore lire tous tes articles : complets, riches, précis, descriptifs !!!

    Je suis fan !!!

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  3. je me joins à Lucie en tant que fan !
    bonne continuation
    rachidus

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  4. Sajnos nem beszélek franciául, de látom,hogy hosszú utad során Szlovákiában, Komáromban is megálltál. Innen 45 km-re lakom, és csak remélni merem, hogy szép emlékekkel mentél tovább tőlünk. A blogodra úgy jutottam, hogy egy nagyon kedves ismerősömnél is megálltál Magyarországon, ő mesélt rólad.
    Kívánom, hogy az utadon kísérjen szerencse, és végig tudd vinni, amit elterveztél. Így ismeretlenül is sok sikert kívánok!

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  5. Salut Juliette,
    Je travaille en ce moment à l'est républicain, et quelle surprise lorsque je suis tombé au milieu de la nuit sur un article parlant de toi, dans le journal fraichement imprimé !
    Sitôt rentré du boulot, je me suis empressé d'aller voir ton blog et je viens de lire tous les articles que tu as publié. Je suis ravi de voir que ton projet extraordinaire a pu voir le jour, que ça y est, tu es sur la route.
    A te lire, on vit avec toi le périple, on ressent la force des rencontres, l'émotion à chaque tour de pédale. Quelle aventure !
    A te lire, je n'ai qu'une envie, prendre mon vélo et rouler le plus vite possible pour te rattraper !
    Bon courage pour la suite de ton voyage et continue à nous faire rêver par tes récits

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  6. bonjour de Cathy et Patrick

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