Juliette nous offre ce texte en ce jour de Noël et vous souhaite de bonnes fêtes.
Les jours qui suivent mon départ de Tabriz sont très enthousiasmants : je chemine sur la Route de la Soie, et cette pensée me donne chaque jour des ailes. Le paysage qui borde ma route est sublime - aride, désertique et d'une immensité vertigineuse. Il me regarde avancer avec la même indifférence qu'il contemplait voilà plusieurs siècles les marchands qui reliaient la Chine à l'Europe. Les villes que je traverse gardent toutes des vestiges de cette époque mythique et je n'aime rien tant que me perdre dans les bazars qui abritent encore les caravansérails où venaient se reposer les voyageurs. Avec un peu d'orgueil, je m'y sens un peu chez moi. Même lorsqu'il ne reste plus que des ruines, j'entre dans chacun d'eux avec la rassurante sensation qu'ils m'attendent et que j'y ai droit.
Sur ma route, pas de chameaux couverts d'épices ou de tissus, mais des convois ahurissant offrant à intervalles réguliers des spectacles dont je ne me lasse pas: des camions qui transportent des tourets de plusieurs mètres de haut menaçant à tout instant de rouler sur la chaussée; des remorques charriant d'immenses câbles qui traînent sur la route et produisent des milliers d'étincelles sur leur passage. Des chargements divers et toujours surprenants : bidons de cuivre entassés, bonbonnes de gaz, imposants blocs de marbre. Les camions sont pleins à ras bord, mais les voitures ne sont pas en reste et débordent de partout. Des barres de fer de deux mètres de long dépassent des fenêtres et rasent ma tête à quelques centimètres à peine. La Route de la Soie est encore aujourd'hui le lieu des trafics les plus divers ! Au milieu de ces convois, des vieilles guimbardes pleines de monde - la grand-mère en tchador, le père qui roule comme un fou, la mère qui disparaît sous une ribambelle d'enfants sautant dans tous les sens - me doublent en klaxonnant. Quand je relève la tête, j'ai toujours la fugitive et très agréable vision de ces regards étonnés et incrédules braqués sur moi, qui s'éclairent de joie quand j'ose un sourire.
Les villages que je traverse en revanche sont uniformément lépreux et glauques. Les rues disparaissent sous la crasse, les bâtiments tombent en ruine, les maisons sont ceintes d'immenses murailles qui empêchent de voir à l'intérieur. C'est pourtant là qu'est la vraie richesse. Même dans les familles les plus pauvres, la pièce à vivre est douillette et chaleureuse. Les tapis qui couvrent le sol forment un cocon dans lequel chacun se blottit et regarde le temps passer. Les hommes enquillent les thés, les femmes aussi, entre deux aller-retour à la cuisine. On dort, on parle, on accueille le nouveau venu sans trop s'en faire. Et puis, soudain, annoncée par les parfums qui s'échappent des casseroles, c'est l'heure : on apporte la grande nappe qu'on déplie cérémonieusement à même le sol : elle se recouvre peu à peu du dîner du soir. En Iran, le repas se savoure bien avant la première bouchée : la table enfin mise se regarde avec gourmandise, et toutes ces textures mélangées mettent immanquablement l'eau à la bouche. Il y a les torchis, ces légumes marinés dans le vinaigre et dont les couleurs joyeuses se côtoient dans les petits bols disposés tout autour de la table ; les ramequins remplis de yaourt ; le plat de riz gigantesque et recouvert d'une gracieuse ligne de safran ; les pains plats que l'on fait passer à chacun. Et le plat enfin, trônant fièrement au milieu et exhalant ses effluves de cannelle, de curry, de curcuma. On sait recevoir en Iran, et chaque repas est une fête.
Une fête, un délicieux moment. Mais aussi l'occasion de s'adonner à un art aussi savoureux que redoutable pour l'étranger de passage : celui du tarof. Comprenez, celui des bonnes manières poussé à l'extrême. Trois semaines que je suis dans le pays et je ne le maîtrise toujours pas vraiment. Trois semaines que je commets impairs sur impairs en manquant forcement, à un moment ou à un autre, une règle de bonne conduite persane. Trois semaines que je ressors de chaque invitation un peu guindée avec de grosses douleurs dans le cou, à force d'être crispée deux heures durant par la peur de paraître impolie.
Le tarof, c'est d'abord une suite à peu près ininterrompue de formules de politesse, que l'on s'échange un peu tout le temps : en arrivant chez notre hôte, en voyant le plat arriver, en finissant le repas, en repartant après l'inévitable thé digestif. "Je suis ton mouton sacrificiel !" "Et moi, je suis ta pelouse !" "N'aie pas mal à la main !" " Et toi, marche sur mes yeux...". Dans chaque pays, les premiers mots que je dois apprendre d'urgence diffèrent. En Turquie, c'étaient les innombrables subtilités des liens de parenté. En Iran, ce sont ces formules de politesse surréalistes que je récite consciencieusement mais qui ne me permettent jamais d'avoir le dernier mot : on renchérit toujours derrière moi, et je clos systématiquement mes visites par un sourire un peu désarmé... Certains excellent dans ce domaine. Comme Reza à Tabriz, que je surprends au sortir du repas à remercier notre hôte. Il enchaîne les formules, un sourire béat et bienheureux aux lèvres, assurant avoir passé le meilleur dîner de sa vie. Après une bonne minute de remerciements élogieux, il se retourne vers moi, l'air à nouveau impassible, le repas déjà oublié.
Mais surtout, le tarof, c'est, plus subtilement encore, l'art de ne jamais accepter quelque chose frontalement, de toujours arriver à ses fins de manière détournée. Cela m'en donne le tournis ; on commence ainsi toujours par refuser avant d'accepter : une invitation, un cadeau, le fruit qu'on vous tend, l'argent pour payer le taxi. L'interlocuteur insiste, on refuse de nouveau, il ne cède pas, on accepte à contrecœur en précisant que l'on se sacrifierait pour lui. Toute une mécanique que je suis loin de maîtriser. Voulant faire bonne mesure, je refuse ainsi chez Zahra le plat que l'on me tend au dîner, comme j'ai vu le reste de l'assemblée le faire. Mon hôte hausse les épaules, vaguement surprise, et le plat me passe sous le nez. Raté !
"Je t'en prie ! Les invités, chez nous, ce sont comme des Dieux. Ou alors, comme nos meilleurs amis. Et puis, surtout... Ils attirent l'argent !". Voilà ce que me répond Rougayeh après que je l'ai remerciée (un nombre incalculable de fois, on l'aura compris) de m'avoir invitée. Les Iraniens aiment les invités, c'est vrai, et les ménagent et les comblent d'attention autant qu'ils le peuvent. Mais ils ne s'en cachent pas : accorder l'hospitalité, c'est aussi s'attirer les faveurs d'Allah ou de leurs Imams, et assurer la réalisation de leurs vœux. Un intérêt que personne ne cache et que l'on me révèle, les yeux brillants d’étoiles à l'idée de tout le bénéfice que l'on pourra retirer de la soirée. Je ne vais pas m'en plaindre : je goûte non seulement tous les plaisirs de la table persane, mais je permets en plus à mes hôtes de croire à leur bonheur prochain ! Et c'est bien souvent moi qu'ils remercient d'être venue jusqu'à eux... Sincèrement, sans tarof.
Les jours passent et la route continue . Hier jour de Noel nous avons beaucoup commenté tes recits et tes rencontres avec Pat et Eric (tu était un peu avec nous, même si loin.
RépondreSupprimerQuel soulagement de te savoir reboustée pour partager de nouvelles rencontres .
Profite bien de cette semaine avant la nouvelle année .Gros gros bisous ma JUJU MJ + JP
contente de savoir que ton voyage continue au fil de toutes ces rencontres extraordinaires. Les Iraniens sont accueillants et c'est tant mieux. je te souhaite une très bonne année 2012 à découvrir d'autres contrées et d'autres grandes âmes dans tous ces pays un peu mystérieux pour nous vus de notre fauteuil devant la télé.Par tes formidables récits, tu nous fais progresser. Prends bien soin de toi. gros bisous
RépondreSupprimerYolande
coucou Juliette!!! Cest ta cousine qui prend enfin le temps de venir te lire sur ton blog.Ce'est tellement courageux ce que tu fais.Meme si je ne suis pas à tes cotés, sache que mes pensées t'accompagnent. J'espere qu'on se verra vite à ton retour.je t'embrasse tres tres fort.Amélie
RépondreSupprimerMerci pour tes voeux. Te lire est à chaque fois le plus beau des cadeaux surtout quand tu nous permets de découvrir un Iran bien différent de celui dont nous parlent tous ces "journalistes" qui n'y sont jamais allés. On fait ce qu'on peut pour t'aider à appuyer sur les pédales ! Bonne Année à toi et à tous ceux et toutes celles qui t'accueillent.
RépondreSupprimerOn attend la suite avec impatience.
Eva & Jean-Pierre
Encore un super moment de lecture! Que des belles images de ce pays inconnu pour nous! Un grand merci à tes parents, qui doivent être avec toi, pour leur carte d'anniv! C'est un peu surréaliste de les remercier par ton intermédiaire!
RépondreSupprimerBonne année 2012 et bonne poursuite de ton rêve... Bisous, Céline et Olivier
Un ami, ancien Zellidja lui aussi, m'a transmis l'URL de ton blog. Te lire est un délice et nous confirme sans cesse ce que trop peu d'occidentaux pensent, persuadés qu'ils sont d'avoir la meilleure culture qui soit. Ils se trompent. J'avais acquis cette certitude en 1953, lors de mon premier voyage en Côte d'Ivoire. Comme disait Pascal "Tout est dit et l'on vient trop tard, depuis plus de 4000 ans qu'il y a des hommes et qu'ils pensent".
RépondreSupprimerBonjour Julette, peux tu noter quelques recettes au fur et à mesure que tu les déguste stp. On pourra les cuisiner ensemble quand tu sera de retour.
RépondreSupprimerJe t'embrasse, et je te souhaite de bien finir cette année 2011.
A l'année prochaine.
Hello Juliette, Cathy et moi te souhaitons une bonne année 2012. Contrairement à toi, je ne suis pas doué pour couché mes émotions, ou mes sentiments sur le papier, je pense que tu sauras lire entre les lignes, pour deviner que nous pensons très fort à toi.J'espère que tu ne te sers pas trop souvent de tes clés Allen.
RépondreSupprimerA plussss
Papanelly
bonne année à toi et à tes parents que je sais près de toi pour ces derniers jours de l'année.quelle te soit riche et pétillante, ce que je ne doute pas!
RépondreSupprimerBonne année ma chère Juliette à toi et à tes parents. Que cette nouvelle année te soit douce pour aller au bout de ton voyage.Je vous embrasse très affectueusement.Patricia
RépondreSupprimerQue 2012 te donne la force, le courage et la santé pour continuer ce voyage .
RépondreSupprimertu peux compter sur notre soutien et nous t'encourageons moralement . Continue à nous faire rêver et surtout prend bien soin de toi
Comme le veux notre tradition "Bonne Année !!!"
MJ+JP
Bonne année et bonne santé à TOI Juliette et à tes parents que l'on sait être avec toi pour toute la semaine. Nous espérons que les retrouvailles se sont bien passées pour vous tous et que vous en avez bien profité. Bonne continuation à Juliette, bon courage pour les jours à venir, bonne santé pour continuer à pédaler. Nous attendons avec impatience tes nouveaux commentaires. Bisous.
RépondreSupprimerSalut Juliette,
RépondreSupprimerC'est le premier message que je laisse ici, mais ça fait déja longtemps que je suis ton périple.
Je sais combien il est difficile d'être loin des siens, et en cette période de fêtes, je voulais te dire à quel point je te trouve courageuse.
J'adorerais partir comme toi sur un vélo, arpenter le monde et rencontrer ses peuples. Un jour, peut être, franchirai-je le pas. Ma tête y serait prête, mais je sais cependant que ce ne sera pas pour demain. N'est pas aventurier qui veut après tout, car je sais aussi que cela ne se fait pas non plus sans sacrifice ni effort.
C'est en tout cas une expérience incroyable que tu es en train de vivre, et je te remercier vraiment de nous la faire partager.
Je te souhaite de faire encore de très belles rencontres et toute la fortune du monde pour la suite de ton voyage que je continuerai à suivre.
Bonne année 2012 et bon anniversaire ;)
Jean Sébastien
merci de nous prêter tes yeux et ton esprit pour les magnifiques découvertes que tu nous fait si bien partager,ainsi que la leçon de courage et de retour sur nous même.
RépondreSupprimerJULIETTE, je suhaite que ton aventure continue dans des conditions les meilleures possibles.
grosses bises;;je pense aussi à Patricia et Eric qui doivent être à tes côtes.
Caude- un amarélien -
Bon anniversaire Juliette
RépondreSupprimerNouveau numéro, 12 comme les mois et le tour de l'horloge, alors trêve de silence : depuis le premier jour je me délecte de ton aventure racontée avec un talent fou sur ce blog gorgé de couleurs, de chaleur, des chants de ton petit coeur ouvert à tous les vents. Sache que tes mots sont la vie, Juliette, et que nous nous en délectons avec gourmandise!... Nous pensons très fort à toi depuis nos tristes et grises plaines à batailles.
RépondreSupprimerchère Juliette ,
RépondreSupprimerTous les encouragements de la part de la famille Saint-Denis (ton frère connais mon fils Louis). Nous suivons ton "vélopériple" avec intéret grandissant. A l'instar de l'aventurière française Alexandra David-Neel, tu découvres des contrées inconnues de la plupart de nos concitoyens.Bonne virée émancipatrice et bravo pour l'enthousiasme que tu déploies pour y parvenir. Ton chemin est un exemple pour les français en mal d'idéal.
cordialement. Marc Saint-Denis
Bonjour Juliette!
RépondreSupprimerNous ne nous connaissons pas, et j'ai pourtant une immense admiration pour toi, pour ce que tu as entrepris, pour l'esprit dans lequel tu abordes tes rencontres et pour ton humilité.
Merci de nous faire partager tes ressentis, moments parfois très difficiles, souvent bien émouvants mais toujours si humains!
Je te souhaite une belle et heureuse année, remplie de bonheurs, petits et grands, à déguster sans modération! Je t'embrasse.
Gwenola (amie de ta Maman)
Juliette,
RépondreSupprimerOn te souhaite une très bonne année 2012 avec toujours ce même appétit de découverte qui fait l'admiration de tous.
On t'embrasse
Francine et Patrice
Vite,vite,vite je suis en retard ce qui ne m'empeche pas de penser à toi.Bon anniversaire Juliette.Bisous Patricia
RépondreSupprimerOh mon Dieu c'était ton anniversaire, joyeux anniversaire. Je savais pas, figure toi que tous les jours je regarde ton blog pour voir s'il y a du nouveau. Les jours passent et rien, alors je m'inquiète forcément. Il ne me vient même pas à l'idée de lire les commentaires, je le fais aujourd'hui et j'apprends que tes parents t'ont rejoins ( où ça d'ailleurs? tu nous le diras dans ton prochain récit je sais.) C'est vraiment super qu'ils soient venus, ça doit te faire tellement du bien. Même si tu fais ce voyage seule, voir la famille en cours de route ça remonte le moral, pour toi et pour tes parents. ils sont aussi courageux que toi dans cette aventure.
RépondreSupprimerBisou, allez encore un petit effort, il ne reste plus qu'un an !!! hahaha
Selcan
BRAVO POUR VOTRE EXPLOIT JE ME REGALE LORSQUE JE VAIS SUR VOTRE BLOG.............BON COURAGE BONNE ANNEE
RépondreSupprimerBon anniversaire en retard! Je pars demain d'Istanbul direction l'Iran en stop! J'espère que tout va toujours bien pour toi et que tu es pas loin de l'Inde! BiSOuS
RépondreSupprimerflore