C'est peu dire que j'étais nerveuse au moment de passer la frontière. En amont, huit kilomètres de camions arrêtés le long de la chaussée annonçaient la couleur. En slalomant sur la bande d'arrêt d'urgence, entre les tables de pique-nique et les tasses de thé des routiers qui prennent leur mal en patience, mille questions se bousculent dans ma tête. Et s'ils fouillent mes affaires, s'ils tombent sur ma bombe lacrymogène ? J'ai bien pris soin de masquer l'énorme sigle OTAN qui barre la bombe de manière peut-être un peu trop provocante pour un pays tel que l'Iran, mais est-ce que ce sera suffisant ? Et ma veste, est-elle assez longue pour ce régime ? Et le foulard, assez sobre ? Il faut dire que la République Islamique nourrit tant de clichés et de représentations en tout genre... Déjà au consulat d’Iran, à Trabzon, au moment de faire mon visa, j’avais montré des signes impressionnants de nervosité - en témoigne l'inquiétude que j'avais éprouvée quand le fonctionnaire avait pointé du doigt le bas de mon pantalon. Qu'est-ce qui n'allait pas ? Une règle vestimentaire qui m'aurait échappé et qui allait déclencher les foudres des autorités ? Rien de tout cela - mon lacet était seulement défait, avais-je fini par constater avec soulagement.
C'est pareil aujourd'hui. Je me fais toute une montagne de ce passage de frontière - et finalement, il ne se passe rien.
Les derniers mètres carrés de la route turque sont couverts de voyageurs descendus de leurs véhicules pour déballer leurs affaires devant les douaniers. Mais mon passeport européen me permet de passer devant tout le monde avec pour seule contrainte d'encaisser le sourire mi- amusé, mi- ironique du douanier qui jette un coup d'œil au spectacle ridicule de mon casque de vélo par-dessus mon voile...
Et me voilà de l’autre côté ! Dans ce terrible Iran qu'inconsciemment j'imaginais froid, totalitaire jusqu'au bout des ongles. Pourtant la première impression que j'en ai, encore coincée à l'intérieur du poste frontière, c’est bien plutôt celle d'un grand bazar. Deux hommes se disputent violemment derrière moi et en viennent aux mains sans que personne n'intervienne…
Les jours qui suivent mon arrivée sont mitigés. Les familles chez qui je trouve refuge le soir sont toujours accueillantes et extrêmement bienveillantes. Mais l'attitude des hommes que je croise sur ma route me pèse énormément. Plus qu'en Turquie, les regards sont souvent trop appuyés, les gestes parfois déplacés. Et à mon arrivée à Tabriz, la situation est telle que je suis fermée à n’importe qui. Je me mets des œillères, je me contente d’avancer sur mon vélo, sans répondre, même aux simples bonjours que j’entends sur mon passage. Je n'arrive pas à relativiser.
Alors pourquoi est-ce qu’à la sortie de Tabriz, toujours aussi fermée et paranoïaque, je décide de laisser sa chance à celui qui une fois de plus me demande de m’arrêter sur le bas-côté, plutôt qu'à n'importe quel autre ? L'intuition peut-être, ou le hasard. Pourtant je suis méfiante. Lui me parle un anglais balbutiant autant qu'enthousiaste. Il m'explique que les deux jours qui suivent sont des jours de fête en Iran, que sa femme et lui seraient très heureux de m'inviter à les passer avec eux. Je refuse, je veux continuer ma route, mais il insiste, je le regarde et, tout-à-coup, toute ma peur disparait. "Bon, c'est d'accord". En deux secondes, mon vélo est chargé dans la voiture et nous faisons demi-tour pour revenir à Tabriz. Pourquoi ai-je autant confiance alors que cela fait plusieurs jours que je me braque à chaque regard échangé ? Je n'en sais rien. Mais ce qui est sûr, c'est qu'un voyage se nourrit de ce genre de rencontres, de ces coups du destin qu'il faut savoir dans sa détresse reconnaitre et accepter. Et combien d'autres ai-je manqués ?
Et me voilà invitée à l'Achoura par Rahim et Mariam, trentenaires curieux de tout, ingénieurs chimistes tous les deux. L'Achoura. Voilà plusieurs siècles, le petit-fils de Mahomet, Hossein, venu libérer une ville du désert qui l'appelait à son secours, est tombé après un valeureux combat sous les coups du tyran Yazid. Depuis ce jours les Chiites n'en finissent plus de le pleurer. Chaque année, sa mort donne lieu à un mois entier de deuil. Et à deux jours plus intenses encore, que je m'apprête à vivre avec eux.
Le lendemain, nous prenons tôt la voiture, accompagnés de Reza et Negar, un couple d'amis, pour nous rendre a une cinquantaine de kilomètres de la, chez la sœur de Rahim. C'est elle et son mari qui organisent la réception pour ces deux jours. La maison est bien sûr un lieu privé, pourtant ici les règles sont strictes : femmes et hommes sont séparés, les femmes au rez-de-chaussée, les hommes à l'étage. Me voilà donc logiquement propulsée du côté des femmes. Toutes sont en tchador, mais les plus jeunes lorsqu'elles entrent dans la pièce le laissent immédiatement tomber, pour découvrir des tenues beaucoup plus affriolantes et des décolletés parfois plongeants. Pourtant, le voile reste de rigueur et, bien sûr, tout le monde est en noir. On est en deuil, tout de même !
Enfin, cela, cela ne se voit pas trop. L'ambiance est certes un peu compassée au début de la journée, et tout le monde se regarde en chien de faïence, assis en rond contre les murs, sur les tapis moelleux qui se couvrent de tasses de thé et de gâteaux. Mais peu à peu, l'ambiance se détend, et tourne à la réunion de famille agréable et conviviale. Je me demande comment cela se passe du côté des hommes. Aux alentours de midi, nous ne tardons pas à en avoir un petit aperçu. Un chanteur a été engagé comme il se doit pour pleurer la mort de l'Imam. Un chanteur qui officie bien sûr à l'étage des hommes, mais, miracle de la technologie, les femmes bénéficient aussi du spectacle grâce à l'enceinte rediffusant ses chants au rez-de-chaussée. "Allo ! Allo ! Un, deux ! Un, deux !". Le son est tonitruant et la surprise provoquée par cette enceinte qui s'est allumée d'un coup provoque des fous-rires incontrôlés chez certaines. Le chanteur commence ses homélies à la gloire de Hossein, et nous pouvons entendre derrière lui tous les hommes qui reprennent gravement les chants en chœur, et qui frappent leur poitrine en rythme. Lointain écho de l'assemblée des hommes où l'ambiance semble être au recueillement et à la solennité.
Un étage plus bas en revanche, il n'en est rien. Les grésillements de la sono sont insupportables. Les femmes crient à présent pour se raconter les derniers potins. Etrange contraste que cette voix qui s'élève pour se lamenter sur la mort de Hossein, et cette multitude de femmes discutant et gloussant comme si de rien n'était. Au moment où le chanteur, emporté par la gravité de l'instant, se met à sangloter pour de bon, Maryam n'y tenant plus grimpe sur le buffet avec toute l'agilité que lui permet sa tenue de deuil, et d'un geste espiègle débranche l'enceinte. Ca y est, chez les femmes, le chanteur a le sifflet coupé. Chez les hommes, le recueillement continue.
L'ambiance paisible et détendue prend soudain fin après le repas, une fois la vaisselle faite. Avant même que j'aie pu comprendre quoi que ce soit, on me dirige vers une pièce minuscule un peu à l'écart de la salle principale. Toutes les femmes s'y trouvent déjà, et je suis l'une des dernières à y entrer avec Maryam avant que la porte se referme. Je lance un regard interrogateur à Maryam qui m'explique : "Les hommes ne peuvent pas manger à l'étage, ils doivent venir dans notre pièce à nous. En attendant, nous, on doit se cacher pour ne pas qu'ils nous voient !". Et elle ajoute : "Heureusement, ils ne sont pas comme nous, les femmes. Ils mangent et ne passent pas leur temps à bavarder. On n'aura pas à attendre trop longtemps !".
Le temps d'un repas tout de même, qui me laisse tout le loisir de compter : dans six mètres carrés s'entassent pour une heure dix-neuf femmes et quatre enfants qui ne mettent pas longtemps à protester violemment contre l'atmosphère étouffante et surpeuplée de la minuscule pièce. Je les comprends...
Si le premier jour du deuil n'y ressemblait donc pas vraiment, le second en revanche, c'est du sérieux. Chaque année, partout dans le pays, l'on rejoue dans des théâtres de rue la mort d'Hossein dans ses moindres détails. Lorsque nous arrivons, la cérémonie a déjà commencé. Sur la place du village, les comédiens en tenues bariolées et parfois même un peu burlesques déclament des vers, entourés de centaines de spectateurs habillés tout en noir. Le spectacle est impressionnant, et il dure plusieurs heures. La mort de l'Imam n'en finit pas. Il faut dire que chaque détail est rejoué minutieusement. Cà et là, parmi les spectateurs, j'aperçois quelques hommes pleurer, de plus en plus nombreux au fur et à mesure que les proches d'Hossein tombent un à un sous les coups de l'ennemi. Pour une occidentale pure souche, c'est tellement surprenant, ces larmes dont je n'arrive pas à savoir si elles sont sincères ou non !
Mais je comprendrai mieux un peu plus tard. Negar, Maryam et moi cherchons un endroit pour profiter du spectacle. La meilleure place : sur le toit plat d'une des maisons qui jouxtent la place. Pour y accéder, on grimpe d'abord sur des toits plus bas, à mains nues ou par le biais d'échelles en bois dangereusement accolées au mur. J'ai l'impression d'être dans Aladin. Parfois l'euphorie tient à peu de chose, mais escalader ces murs en terre, dans ce décor grandiose aride et montagneux, c'est un peu réaliser un rêve d'enfance...
Et au sommet, sur le toit le plus haut, le spectacle est incroyable. Des dizaines et des dizaines de femmes en tchador, assises en tailleur, me tournent le dos pour assister à la cérémonie en contrebas. Leur silhouette se découpe sur l'horizon désertique. Les vers des comédiens s'élèvent dans le silence religieux. Je m'approche pour, moi aussi, regarder. Le neveu de Hossein est sur le point de prendre les armes pour défendre son oncle. Je ne comprends pas les vers qu'il déclame mais je devine facilement sa ferveur et son courage. Et soudain quelque chose a changé sur le toit tout-à- l'heure silencieux. Chaque tchador se soulève doucement, en des soubresauts de plus en plus marqués. Ca y est, les femmes pleurent. Le toit entier n'est plus qu'un immense sanglot qui salue le courage du neveu de Hossein. Le temps est suspendu aux larmes des femmes. Leurs soupirs de détresse me donnent des frissons que je suis certaine de ne jamais oublier.
Nous redescendons. Maryam n'a pas pleuré, mais je la sens secouée. "Tu te rends compte, quand même, c'était un musulman, et ce sont d'autres musulmans qui l'ont tué..." Elle reste longtemps silencieuse, puis elle ajoute : "Tu sais, l'Achoura, c'est d'abord une fête pour nous rappeler qu'il y a un jour un homme qui est mort pour faire le bien. Et que pour cela, nous avons chacun le devoir de devenir meilleur jour après jour. De livrer notre combat personnel pour le bien".
Le lendemain, revenue à Tabriz, je quitte avec un gros pincement au cœur Maryam et Rahim. Eux ne devinent pas à quel point ils ont été importants pour moi. J'ai un mal fou à refuser tous les cadeaux qu'ils me prodiguent et l'argent qu'ils s'empressent de me donner. Mais Maryam me réplique : "S'il te plait ! Ca fait partie des enseignements du Coran de donner de l'argent aux voyageurs. Et puis surtout, nous avons suffisamment honte de nous dire qu'avec ton voyage et ce qui te pousse à le faire, tu es beaucoup plus musulmane que nous, qui nous complaisons dans notre confort quotidien..."
Ça fait plaisir d'avoir quelques nouvelles, je me demandais comment ton entrée en Iran s'était passée ! Bonne route (tiens d'ailleurs, ce n'est pas trop dur de rouler avec l'accoutrement réglementaire ? ma cousine était obligée de porter une jupe au dessus de ses pantalons... ça gênerait un peu pour pédaler), bises.
RépondreSupprimerOulala, moi aussi je me demandais comment tu te sentais dans ce nouveau pays.
RépondreSupprimerHossein, Ataturk, etc... les êtres humains recherchent toujours des guides, des exemples à suivre.
Tu n'as pas pu mettre de photos et pourtant, en te lisant, je vois de belles images!
Bises!
Bonjour Juliette
RépondreSupprimerUn moment que je n'étais pas revenu te lire, depuis ton moment d'abattement en Turquie. Je vois avec plaisir que ça va beaucoup mieux maintenant.
J'ai bien ri en lisant l'anecdote du lacet défait... étant d'un naturel anxieux, je m'y suis totalement retrouvé.
Je suis en train de lire un autre récit de voyage de filles à vélo : "Détours du monde". Mais elles sont deux, tu es seules, et ton courage est d'autant plus impressionnant.
Ton récit est captivant, j'ai l'impression que tu jouis à chaque instant du plaisir essentiel d'être, à chaque instant, là où tu as choisi d'être. Et le fait que cet endroit soit différent chaque jour, et que tu doives lutter pour atteindre l'étape suivante, semble ajouter à ta joie.
C'est un bonheur de te lire,
Je t'embrasse.
Hervé
Magnifique! On attend le prochain avec impatience...
RépondreSupprimerRavis de constater que ton entrée en Iran s'est faite relativement sans trop de difficultés. On craignait que l'obtention du visa ne t'oblige à retarder ta progression. Tu as repris courage après les efforts de la Turquie, bonne route pour les jours à venir. Nous pensons bien à toi. Toute la famille t'embrasse. Nadette Gilbert
RépondreSupprimerJ'attendais la suite avec impatience, ca fait plaisir de voir que tu vas mieux :)
RépondreSupprimergros bisous
Marion
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RépondreSupprimerUn message tellement émouvant que j'en ai les larmes aux yeux...
RépondreSupprimerflore
Mon coeur se sert.... Tu me manques ma Juliette katia
RépondreSupprimerC'est ma première lecture, c'est passionnant, émouvant, ta manière de décrire est impressionnante. Tu emmènes les lecteurs dans ton voyage, comme si on y était. Bravo pour le courage, et bravo pour l'écriture. Et ta vision, si bien transmise.
RépondreSupprimerOn attendait avec impatience un nouvel article et on n'est vraiment pas déçu! Ce que tu décris est toujours aussi impressionnant! Plus que quelques jours avant Noël, nous te souhaitons de le passer joyeusement et bien entourée.
RépondreSupprimerGros bisous,
Céline, Olivier et les enfants
chère petite Juliette que je ne connais pas
RépondreSupprimerje te lis avidement depuis cet été...avec impatience...comme tous tes lecteurs, je voyage avec toi, je découvre et je frémis, je me réjouis ou je suis triste avec toi!
j'admire ton grand courage, ta force et tes talents d'écriture.
j'espère que tu vas passer les fêtes de fin d'année entourée et au chaud!
merci de nous faire découvrir avec toi cet orient si proche et si loin.
catherine
Hello Juliette, j'espère que la suite sera aussi chouette. On parle de toi chaque fois qu'on se réunit. Plein de grosses bises.
RépondreSupprimerDe tout coeur avec toi en cette période de fêtes de Noël. Mathilde
RépondreSupprimerà quelques jours de NOËL je pensais à toi; alors je suis venue te lire...encore une fois impressionnée par tes récits!!!!Les demandes concernant la religion et TA religion m'ont beaucoup intéresse!!
RépondreSupprimerJ’espère que tu trouveras un endroit accueillant et chaleureux le 24 au soir et même si là où tu seras il n'y aura certainement pas de célébration autour de NOËL saches que nous on pensera bien à toi ma juju!!!!!
et des NOËL comme on dit y'en aura pleins d'autres!!!!
gardes ta pêche et ton moral d'acier!!!
gros bisouuuus!!!!johanna!!!
C'est toujours avec beaucoup de plaisir que je lis tes messages de voyage. j'apprécie beaucoup ton style et ta sensibilité à traduire tes moments de rencontres.
RépondreSupprimerC'est souvent Henri qui me signale que tu as laissé un message sur ton blog et c'est lui qui me tient au courant de ton moral.
Je te souhaite de continuer à passer de très bons moments et particulièrement pendant ces temps de fêtes.
Sache que tu fédères beaucoup de monde ici autour de ton voyage et cela nous donne des sujets de conversations très variés.
Je pense bien à toi et t'embrasse fort.
A bientôt sur ton blog.
Happy Christmas Juliette, I hope that you will find somewhere to "crèche", with some happy kind faces. I'll drink a big "coupe de champagne" in your honour. Take care. Lesley
RépondreSupprimerSalut Juliette
RépondreSupprimersamedi 28/04
Nous sommes allé en classe découverte nous avons
Déjeuner puis nous avons fabriqué des cabane en bois puis
nous avons fais un veiller calme.
Le dimanche 29/04
Nous avons visité le château de Joux
Nous avons mangé puis nous avons visité Laberge ment Sainte-Marie
Ensuite nous avons fais un veillée animée au village club.
Le lundi 30/04
Nous avons visité le Dinozoo (un parc) au gouffre de Poudrey
Après avoir mangé nous avons visité la ferme de Bardoux
Ensuite nous avons fait une soirée dansante.
Le mardi 01/04
Nous avons visité des ferme du mussé horloger
Après avoir mangé nous avons fait une balade au saut du Doubs
Ensuite nous avons fait une veillée jeux.
Le mercredi 02/04
Nous avons visité la fromagerie des Suchaux aux fins
Après avoir mangé nous avons visité un atelier du bois Sauge
Ensuite nous avons fait une veillée expression
Jeudi 03/04
Nous sommes allée a la citadelle de Besançon
Après avoir mangé nous sommes allés au zoo de Besançon
Puis nous avons fais une veiller casino.
Vendredi 04/04
Nous avons visité le gouffre de Poudrey
Après avoir mangé nous avons fait la découverte du cirque de la consolation
Puis nous avons fait le voyage du retour.
Juliette,je n'ai pas pus t'envoyer de photo mais je
t'en envoi-rai quand j'aurai enfin trouver le site
des photo de classe découverte et je t'envoi-rai
le site avec.
Yasmine Dambri (et le reste de la classe)
salut.