tag:blogger.com,1999:blog-34572264854780802982024-03-13T03:04:42.443+01:00Du Limon dans le Dérailleur !18 mois à vélo, de Paris à Shanghai, le long des grands fleuves mythiques...Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.comBlogger36125tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-88855628683464702572012-11-20T09:32:00.002+01:002012-11-20T09:32:50.192+01:00Epilogue. France-Chine, kilomètre 12000 et des poussières.<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
Et puis il faut revenir.<br />
<br />
Revenir et s'interdire de penser à son voyage, parce qu'il y a plus urgent, parce qu'il y a plus grave. S'interdire de rêver à ces douze mille kilomètres, à ces ailes dans le dos, à ces matins angoissés, à ces soirées souriantes, s'interdire de comparer le bonheur et l'insolence d'alors et l'épreuve d'aujourd'hui, parce que c'est la vie, que c'est ainsi, qu'il faut faire front et éviter tant bien que mal de se retourner.<br />
<br />
Heureusement, quatorze mois, ça ne s'efface pas comme ça.<br />
Et, de même que la vie ressurgit toujours, malicieuse, effrontée, aux moments les plus noirs, mon voyage a fini par me revenir, boomerang joyeux, coloré, odorant, et me signaler qu'il était quand même de mon devoir d'y mettre un point final.<br />
<br />
Je rêvais d'une fin au bord de l'eau, je rêvais de voir le Yang-Tsé se jeter dans la Mer de Chine, et moi dans un retour plein de promesses.<br />
Mon voyage s'est achevé sur le tarmac d'un aéroport chinois.<br />
Mais qu'importe, lorsque le but, c'est le chemin....<br />
<br />
J'étais partie pour beaucoup de bonnes raisons, et pour quelques mauvaises que je ne voulais pas m'avouer. Je voulais contenter mes jambes pleines de fourmis, et mon coeur un peu trop palpitant. Je voulais me créer une vie pleine de souvenirs. Je voulais voir, les yeux écarquillés, le monde et ceux qui l'habitent. Je voulais savoir de quoi j'étais faite. Et je voulais de cette vie nomade qui me faisait vibrer depuis si longtemps. Voilà pour les bonnes raisons.<br />
Je voulais essayer d'arrêter un peu ce temps qui file trop vite. Je voulais me prouver que j'étais capable de réaliser quelques chose qui me semblait objectivement impossible. Et peut-être voulais-je aussi le prouver au reste du monde. Voilà pour les raisons moins avouables.<br />
<br />
De mon premier coup de pédale plein de questions à mon arrivée en Chine, de l'épopée turque à l'angoisse indienne, du sourire de la Bavière à la nonchalance du Laos, mon voyage a dépassé toutes mes attentes. J'en reviens fière des obstacles franchis. Humble des renoncements, des découragements, de ces quelques épreuves trop dures pour moi. Fascinée par ce monde si complexe, si changeant, si frileux parfois, mais si bienveillant partout.<br />
J'en reviens surtout éperdue de reconnaissance pour toutes ces mains qui m'ont poussées, kilomètres après kilomètres. Toutes ces portes qui se sont ouvertes, chaque soir, sans faillir. Et tous ces encouragements que vous m'avez prodigués ici, et qui m'ont portées comme jamais je n'aurais cru cela possible. Ce voyage aurait été fini depuis bien longtemps, s'il n'y avait pas eu tous vos commentaires, j'en suis convaincue. Merci infiniment.<br />
<br />
Mon voyage se termine, et j'en reviens plus forte, et, parce que je connais mes faiblesses et mes limites, plus humble aussi. Prête à faire front, mais les bras ouverts.<br />
<br />
Miracle, le temps avait réussi à filer moins vite. Mais les fourmis, elles, sont toujours là.<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
Tout reste à vivre.<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiZedtPoE_vfpwQdi6lVK6jL3DO8_Y7CFo21mVWNx9cTCJYFnryxtGdBdGxbH7JFpJtnXbAsyvriavfSkH7Um9gSiSZ8oeF-HvNQ3g3kNYVK6Pb6hTH9O0sA8xyoPxsXNUcQ42keHHtmuXw/s1600/DSCN1425.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiZedtPoE_vfpwQdi6lVK6jL3DO8_Y7CFo21mVWNx9cTCJYFnryxtGdBdGxbH7JFpJtnXbAsyvriavfSkH7Um9gSiSZ8oeF-HvNQ3g3kNYVK6Pb6hTH9O0sA8xyoPxsXNUcQ42keHHtmuXw/s320/DSCN1425.JPG" width="320" /></a></div>
<br /></div>
Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com14tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-79901910659748007092012-09-06T09:06:00.000+02:002012-09-10T07:51:09.352+02:00<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
Bonjour à tous,<br />
<br />
Le décès de mon grand frère, à 35 ans, a soudain rendu ce voyage bien futile et bien loin de mes préoccupations.<br />
Me voilà de retour en France, auprès des miens.<br />
<br />
Je reviendrai plus tard faire un bilan de ces quatorze mois.<br />
Pour l'heure, merci infiniment de m'avoir suivie.<br />
Mon adresse mail : juliette.jacquemin@yahoo.fr<br />
<br />
A bientôt,<br />
Juliette<br />
<br /></div>
Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-24815104465232043982012-08-26T17:39:00.001+02:002012-08-26T17:40:48.379+02:00Aux portes de Chine. Luang Prabang, km 12000<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh-jyfbz4xiiwJ6NSWsvVRRbcnh8TdU3JXhpnx0u83oM6pV1UUahAjXJAH32upmxojb4JT939UuTPMUh3Gy69P2YfRUWC2Rwx-E3M_CetbM42bkaKDK2SCKDGVuJV6QZQwejyL9Av23SwH9/s1600/DSCN2118.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh-jyfbz4xiiwJ6NSWsvVRRbcnh8TdU3JXhpnx0u83oM6pV1UUahAjXJAH32upmxojb4JT939UuTPMUh3Gy69P2YfRUWC2Rwx-E3M_CetbM42bkaKDK2SCKDGVuJV6QZQwejyL9Av23SwH9/s320/DSCN2118.JPG" width="240" /></a></div>
<br />
<br />
<br />
<div style="margin: 0cm; text-align: left;">
<span style="font-family: inherit;">Quel délicieux été, à pédaler de concert aux bords du Mékong...
Apres les quelques ajustements nécessaires, l'étonnement de ne plus me sentir
seule au moment de partir, le rythme à trouver et a adapter, quel bonheur ! Je découvre
un pays avec non plus une paire d'yeux, mais deux, ou trois. C'est par cette
multitude de regards que le Laos se dévoile, au fil des coups de pédale.<o:p></o:p></span></div>
<div style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt; text-align: left;">
<span style="font-family: inherit;">Le Laos, l'un des pays les plus pauvres du monde. Les images que
je garde en tête, du sud du pays tout du moins, font mentir celles que font
imaginer les études alarmistes qui nous alertent sur ces malheureux qui vivent
"sous le seuil de pauvreté"...<o:p></o:p></span></div>
<div style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt; text-align: left;">
<span style="font-family: inherit;">Et quoi ? Nous devrions les plaindre, ceux dont la faiblesse
serait de réussir à vivre avec moins de deux euros par jour ? Nous devrions les
plaindre alors que leur conception de la société, de l'éducation des enfants,
aurait plutôt tendance à nous faire rougir.<o:p></o:p></span></div>
<div style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt; text-align: left;">
<span style="font-family: inherit;">Ici dans les campagnes, la communauté prend en charge les plus
jeunes. A quatre ans, on est souvent sous l'aile de gamins de huit ans. On doit
aussi s'occuper des plus petits, ceux de deux ans - sans que le regard
bienveillant d'un adulte ne soit jamais trop loin, bien sur. Les enfants qui
pullulent sont très tôt rendus responsables - et par la même plus débrouillards,
jouissant aussi de l'amour de toute une communauté.<o:p></o:p></span></div>
<div style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt; text-align: left;">
<span style="font-family: inherit;">Il n'est pas rare de croiser, sur la route principale, des
scooters conduits par une gamine de dix ans tout au plus, concentrée sur la
route, les pieds touchant à grand peine les pédales, et a qui s'accrochent
comme autant de poussins gouailleurs et courageux une ribambelle de marmots...</span><span style="font-size: medium;"><o:p></o:p></span></div>
<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgxMT_oUEtNYX2645LHqjE5iyduZfiieuNjo4MI0gU8csMjQSOpR0J8EEYkuL-K71Xogq6kBcnJ5CwnK_dCTKlCrRGOFd2JffsJHdLaP6IyHp4RxIm7bN7kh48PHYiI4a2IsYpxOtQo1Uo7/s1600/DSCN2176.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgxMT_oUEtNYX2645LHqjE5iyduZfiieuNjo4MI0gU8csMjQSOpR0J8EEYkuL-K71Xogq6kBcnJ5CwnK_dCTKlCrRGOFd2JffsJHdLaP6IyHp4RxIm7bN7kh48PHYiI4a2IsYpxOtQo1Uo7/s320/DSCN2176.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<br />
<br />
<div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0cm;">
L'opulente Asie des rizières que nous traversons, douce et rieuse,
lente et sereine, semble chaque jour nous narguer de sa joie de vivre.
Elle que l'on dit stagnante ; entendre : sous-développée.<o:p></o:p></div>
<div style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt;">
Au Laos pourtant, les dangers guettent, tapis. Les riches voisins,
Chine et Thaïlande qui, eux, n'ont jamais souhaité rater le train du
"développement convoitent cette bande de terre léthargique. Petit à petit,
parcelle par parcelle, le Laos est racheté, grignoté par les investisseurs intéressés
par des gisements prometteurs. Comme autant des verrues fleurissent dans les
campagnes des maisons incroyables et kitschissimes et qui attirent à chaque
fois notre œil surpris. A Vientiane, Vilayvanh qui nous reçoit nous explique :<o:p></o:p></div>
<div style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt;">
"Ces maisons appartiennent souvent à des paysans qui ont
accepté de céder leurs terres agricoles à des Chinois, moyennant des sommes
exorbitantes. Une fois l'argent encaissé, c'est comme s'ils avaient gagné au
loto. Et le but premier, c'est d'abord de se faire construire une maison
identique à celle qu'ils voient tous les jours dans les séries thaïes..."
Et c'est ainsi que la colonisation économique - et, de plus en plus,
culturelle, prend de l'ampleur. Vientiane elle-même croule sous les chantiers
d'envergure qui essaiment sur les bords du Mékong. Partout, d’immenses panneaux
indiquent à grands coups d'images bien léchées la construction prochaine
d'édifices copiant bien souvent les grands immeubles new-yorkais... Et payés
bien souvent par les Chinois. Pendant ce temps, le système éducatif et médical
stagne à l'état embryonnaire... Mais en République Populaire du Laos, on n'en
est pas à une contradiction près.<o:p></o:p></div>
<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj4N7lzv38mtf1tu-H178iQ36mQOOaY812RswPUnad0MxcjItsNflwvxpWJY18aExRn1WTef5UyrVQfEiYG8O1488UjEXebH9XEYZ1u-SrfoKV6FZ7tPwGC_Jx4c6LR4rYmTfEURkOpS7oS/s1600/DSCN2133.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj4N7lzv38mtf1tu-H178iQ36mQOOaY812RswPUnad0MxcjItsNflwvxpWJY18aExRn1WTef5UyrVQfEiYG8O1488UjEXebH9XEYZ1u-SrfoKV6FZ7tPwGC_Jx4c6LR4rYmTfEURkOpS7oS/s320/DSCN2133.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<br />
<br />
<div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0cm;">
Apres Vientiane, le paysage change radicalement. Les pains de
sucre qui donnent toujours un peu l'impression d'être poses, bêtement, par une
main immense et invisible au milieu des rizières, se multiplient, au point de
boucher tout l'horizon de leurs formes extravagantes. C'est la saison des
pluies au Laos et les formes mystérieuses des massifs sont toutes enveloppées
de brume. Parfois le voile se déchire et l'un d'entre eux apparait, plus
imposant qu'on l'aurait imagine. Et ces monstres de pierre semblent soudain si
vaporeux, si délicats. Nous roulons dans une estampe, sur du papier de soie que
l'on aurait presque peur de froisser, de déchirer. Nous roulons en suffocant,
la route monte dur, pour mieux nous rappeler surement que rien n'est acquis, et
que chaque fois que nous voudrons nous perdre dans ce paysage d'elfes et de fées,
il faudra le mériter.<o:p></o:p></div>
<br />
<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgHHkpi4lFElmcewgKfpcL3_0RuvROvS_tHCVX_DSvCT0TFTTjVen9AH9iwyir54b3udeVACfho-ARcJjrgu6UB2VXOa_ZuKb0a5LMEAyZ_9CIGzKtWOtEJyx2da7j5rnnRzS_Od_U2p3Y6/s1600/DSCN2136.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgHHkpi4lFElmcewgKfpcL3_0RuvROvS_tHCVX_DSvCT0TFTTjVen9AH9iwyir54b3udeVACfho-ARcJjrgu6UB2VXOa_ZuKb0a5LMEAyZ_9CIGzKtWOtEJyx2da7j5rnnRzS_Od_U2p3Y6/s320/DSCN2136.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<br />
<br />
<div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0cm;">
Et puis soudain m'y voila. Aux portes de la Chine. J'y arriverai
donc ? Oui, mais seule. Et à Luang Prabang, a un pas de l'Empire, je titube et
j'hésite, effrayée par ce géant qui m'attend et par la solitude qui m'étreint
de nouveau. Et comme a la frontière iranienne, je sens que plus qu'un pas en
avant c'est un nouveau saut dans le vide que je dois faire.<o:p></o:p></div>
<div style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt;">
Mais le dernier.<o:p></o:p></div>
<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiy6arZVoJQ0NAbFmrkApG_K5s0YSlewmib248gBDuX8KTYYdbBNHchDVvaOEJg9x2dul5JMakhiEzO-ZqpQyqsXmW22cdyqt2sOxr3JV4FHip7RGTAiJ8m2NHepG8fw4SXd7oRVjjce4o6/s1600/DSCN2125.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiy6arZVoJQ0NAbFmrkApG_K5s0YSlewmib248gBDuX8KTYYdbBNHchDVvaOEJg9x2dul5JMakhiEzO-ZqpQyqsXmW22cdyqt2sOxr3JV4FHip7RGTAiJ8m2NHepG8fw4SXd7oRVjjce4o6/s320/DSCN2125.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<br /></div>
Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-18932722844471205502012-07-22T11:36:00.000+02:002012-07-22T11:36:00.449+02:00Quelques images du Laos...<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
Comme promis, voici quelques photos du Laos en attendant de vous retrouver en aout pour un nouvel article plus complet !<div>
A tres bientot, </div>
<div>
Juliette</div>
<div>
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi3dz-j-sIWyP_g_m4OK-ZRwKQZ2TZgHIoDs1oUZZjF53e5oTuN1AVtPVirQ8hEHy20A5kVzMCJKVplhU1mFpSS6GFFT-6R8M-sTx8quNftVlzPjhA35dm1lUE289prrOawjl6HqWpsrkTm/s1600/P1030421.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi3dz-j-sIWyP_g_m4OK-ZRwKQZ2TZgHIoDs1oUZZjF53e5oTuN1AVtPVirQ8hEHy20A5kVzMCJKVplhU1mFpSS6GFFT-6R8M-sTx8quNftVlzPjhA35dm1lUE289prrOawjl6HqWpsrkTm/s320/P1030421.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjBbHeruUYIrfRSceNWbiexZp4FsrKgtELIn4mAXiblAV2RZo0DUXJqXtv0QRBovZ-v2I2qvBueNLB3J-8yRp0WwKakFZDGV8mW8RqzsObRSUAyct7kvdqm2NwVCFPOH-0EYH3ozsblN0T0/s1600/P1030427.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjBbHeruUYIrfRSceNWbiexZp4FsrKgtELIn4mAXiblAV2RZo0DUXJqXtv0QRBovZ-v2I2qvBueNLB3J-8yRp0WwKakFZDGV8mW8RqzsObRSUAyct7kvdqm2NwVCFPOH-0EYH3ozsblN0T0/s320/P1030427.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhntgRDO-mc6XE5xgz3IHbpwsxkdtimRXwWTYvzCmCfYWxSNm5sIYl9fedooaofVl6ym-b7BIuvKU66U_Ik0HTHyaih-jVA5NQl21nwy2pPc3ktj3BxZACv3EMTBjFedsm7pZAjdHkuL02z/s1600/P1030463.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhntgRDO-mc6XE5xgz3IHbpwsxkdtimRXwWTYvzCmCfYWxSNm5sIYl9fedooaofVl6ym-b7BIuvKU66U_Ik0HTHyaih-jVA5NQl21nwy2pPc3ktj3BxZACv3EMTBjFedsm7pZAjdHkuL02z/s320/P1030463.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiuOjMhJzjVwOnONkKW2rVBTQU3rIyXb9TRCi5QrONHwZJvIyMedSCC6rhtDUfBG4otTBYw_-PZ5wzJNxDzzImqoUQH7dS4Rs7J3ECGltv3XVOnLsDDLie4A9-_4Rs4ItvWuXEcsm7ZRREw/s1600/P1030466.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiuOjMhJzjVwOnONkKW2rVBTQU3rIyXb9TRCi5QrONHwZJvIyMedSCC6rhtDUfBG4otTBYw_-PZ5wzJNxDzzImqoUQH7dS4Rs7J3ECGltv3XVOnLsDDLie4A9-_4Rs4ItvWuXEcsm7ZRREw/s320/P1030466.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiunvLvmwzA0Rwrvl4tDviC2IVie-TQFL3KaS6xIViOxHU7hcU37a3SfvanPqIlVZg2pKzR9MJD5GmYVO2LQp06HeE8Q17bClvlFmzFA8HSQ20H9HjKEQeu0yLKTQ0cJVEXaUzQr6Hbizw7/s1600/P1030502.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiunvLvmwzA0Rwrvl4tDviC2IVie-TQFL3KaS6xIViOxHU7hcU37a3SfvanPqIlVZg2pKzR9MJD5GmYVO2LQp06HeE8Q17bClvlFmzFA8HSQ20H9HjKEQeu0yLKTQ0cJVEXaUzQr6Hbizw7/s320/P1030502.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgy1bj_lQFjrvGa9d5yCSXZfwJPFOvucvL7tJC8o6BawdlerWLYq9u4InSAxO6uhtF1rLNCdZBBNaDH0La1COV9CGsrFvE8ZzUFztHEO0MkaoPMs2TUhyKRvANxT_VdKwNQKTnH6j9tMoxH/s1600/P1030523.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgy1bj_lQFjrvGa9d5yCSXZfwJPFOvucvL7tJC8o6BawdlerWLYq9u4InSAxO6uhtF1rLNCdZBBNaDH0La1COV9CGsrFvE8ZzUFztHEO0MkaoPMs2TUhyKRvANxT_VdKwNQKTnH6j9tMoxH/s320/P1030523.JPG" width="320" /></a></div>
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjcsBtLZ-PYJP9awWqFCSEaVLIU4mFLrQugxc6x3LaA7vDPuKkKqOmwYTwsgMSXvf2Jz8nwO_0S5bB9mJB82azHoYklil3XIZHCw2ng5gAnhS9oxVRI_DZB9y5yg7W9JaLQRpubux51tnJw/s1600/P1030529.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjcsBtLZ-PYJP9awWqFCSEaVLIU4mFLrQugxc6x3LaA7vDPuKkKqOmwYTwsgMSXvf2Jz8nwO_0S5bB9mJB82azHoYklil3XIZHCw2ng5gAnhS9oxVRI_DZB9y5yg7W9JaLQRpubux51tnJw/s320/P1030529.JPG" width="320" /></a></div>
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</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-77520295823763081312012-07-18T09:10:00.000+02:002012-07-18T09:10:29.456+02:00Fermé pour congés... Vientiane, km 11450<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
Cet été, je continue à pédaler, je remonte le Laos tranquillement en suivant le Mékong... Mais cet été, je ne suis pas seule. Mes proches, lassés de me voir si loin, se relaient pour pédaler quelques temps à mes cotés. L'occasion pour moi de découvrir une autre manière de partager, plus directe, plus affective, et de laisser pour Juillet le blog en jachère... Je reviens en aout pour des articles plus construits, et vous ferai patienter d'ici là avec quelques photos du Laos !<br />
A très bientot,<br />
Juliette</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-55032332261609104142012-06-30T13:48:00.001+02:002012-06-30T13:49:43.743+02:00Le dix-millième. Kratie, km 10 650<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJh07CRG8RwvKu_Wb6Q2JOcxTNrloQLubAh0_THHxoDwq79gldW39JirTZvXPaUZuaz8n82ySDvtgA1kAPzoym0ONDdlG1TpQ0_Of-Z1eZU-MRWjvWo87L_s9rikFiZXUlizz-BaPdRiOl/s1600/DSCN2106%5B1%5D.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJh07CRG8RwvKu_Wb6Q2JOcxTNrloQLubAh0_THHxoDwq79gldW39JirTZvXPaUZuaz8n82ySDvtgA1kAPzoym0ONDdlG1TpQ0_Of-Z1eZU-MRWjvWo87L_s9rikFiZXUlizz-BaPdRiOl/s320/DSCN2106%5B1%5D.JPG" width="240" /></a></div>
J'arrive à Phnom Penh après quelques jours délicieux, parsemés de rencontres faciles et chaleureuses. J'en profite pour fêter mon dix-millième kilomètre, un peu après Siem Reap, en rase campagne.<br />
Je ne parle pas beaucoup de mes longues heures passées sur le vélo. Le plat du terrain, en ce moment, me permet de les passer à penser à tout et à rien, surtout à rien, à chanter, à rêver à toutes mes vies futures et à celles que je ne vivrai jamais. J'aime cette idée de mettre plusieurs heures, chaque jour, mon cerveau à disposition. De l'irriguer comme il faut par l'intermédiaire des mes coups de pédale, de le plonger dans un univers serein, et de regarder ce qui se passe... Parfois, les idées viennent d'elles-même. Parfois, c'est le grand vide. C'est comme pour mes étapes du soir : l'essentiel est toujours de créer les conditions propices à la surprise. De tout faire pour qu'il se passe quelque chose, et puis d'attendre, sans trop s'en faire.<br />
Je laisse aussi des pans entiers de ma mémoire affleurer. Des souvenirs minuscules et futiles que j'aurais définitivement oubliés si je ne leur avais permis, comme une dernière chance, d'émerger. De ces délicieux moments, madeleines de Proust sans madeleines, je suis friande. Cette année et demie de parenthèse, c'est aussi une manière de prendre le temps de faire le point sur les vingt années passées. Quel luxe inoui ! Peut-on si souvent, dans la vie ordinaire, se permettre de prendre vraiment du recul sur ce que l'on a vécu, d'arrêter le cours des choses, de se poser en spectateur de notre vie passée ? Démarche égocentrique au possible, mais démarche essentielle, qui ne donne que plus de valeur à la vie. C'est si riche, une vie !<br />
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A Phnom Penh, je suis accueillie par un couple d'expatriés, Solène et Laurent, chez qui je passe plusieurs jours. Les quelques jours passés avec eux et avec leurs enfants, Benjamin et Thomas, me font un bien fou, d'autant que leur regard d'expatriés ayant vécu de nombreuses années au Laos et au Cambodge est passionnant, juste et sans complaisance, notamment sur le milieu des expatriés en lui-même. Solène, professeur de Francais-Langues Etrangères au lycée français, m'explique :<br />
" Dans cette école, on n'a pas que des enfants d'expats. Il y a aussi plein de petits Khmers, qui ont obtenu une bourse sans qu'on sache trop comment, grace aux relations de leurs pères le plus souvent, et qui se retrouvent là. Ca donne une mixité sociale très importante, et qui va des gamins au passif très lourd, avec des histoires familiales compliquées, aux enfants de l'élite qui débarquent tous les matins dans les Lexus rutilantes qui circulent partout en ville." Elle me sert un thé, puis reprend : "Et même parmi les expatriés, les situations sont vraiment très différentes. Tu n'imagines pas le nombre d'occidentaux débarqués là avec un contrat de travail qui a fini par s'achever, sans qu'ils aient pu trouver autre chose, et qui restent là, incapables moralement de retourner en France ; comme le gouvernement au Cambodge n'accorde pas d'aides sociales, ils se paupérisent extrêmement vite et sont vite réduits à l'état de survie. Ils se disent surement qu'il vaut mieux vivre sous les tropiques qu'en France... Sauf qu'ils n'ont plus rien à faire ici et que, pour le coup, ils seraient bien mieux dans leur propre pays. On n'est pas forcément plus heureux au soleil.<br />
A coté de ça, quand tu as un travail ici, c'est vrai que tu peux avoir un train de vie qui dépasse de très loin ce que tu peux espérer en France. Du coup, on assiste très souvent à l'excès inverse, des expats qui brisent des tabous, des limites auxquels ils se seraient pliées sans même y penser en France. Ici quand tu es expatrié, la norme veut que tu aies au moins une femme de ménage. On nous l'a fait comprendre dès qu'on est arrivés. Du coup, au début, on était un peu ennuyés, on ne savait pas vraiment quoi lui faire faire... Je dois avouer que depuis que les enfants sont nés, c'est quand même plus pratique. La notre vient du lundi au vendredi, de 10h a 19h environ. Elle s'occupe des nfants, fait le ménage et la cuisine. On nous dit qu'on la paie trop ; je ne vois pas en quoi. La vie n'est pas si bon marché ici. Mais il y en a chez qui c'est la folie. Ils exigent que la bonne soit là les week-ends, qu'elle arrive le dimanche avant qu'ils soient levés, pour leur préparer leur petit-déjeuner... Un truc qu'ils n'imagineraient jamais en France, bien sur ! Les voyages se font avec la bonne, pour qu'elle s'occupe des enfants, ce qui fait qu'ils ne partent pour ainsi dire jamais en famille. Voilà ! Et pour tout ca, ils paient une misère..."<br />
L'exploitation de l'homme par l'homme a de beaux jours devant elle quand elle se fait loin de chez soi. Et toujours sous le soleil. Comme si c'était moins grave.<br />
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"Et oui, comme tu le vois, il y a de tout ici ! Le problème du Cambodge, c'est qu'il n'y a pour ainsi dire pas de réglementation. Du coup, il est très facile pour les Occidentaux de venir, d'y rester d'y faire un peu tout et n'importe quoi. Il y a beaucoup de dérives. Avec les ONG notamment. Tu as du remarquer le mombre effarant d'ONG qu'il y a dans ce pays ! Or, si à la fin de la période khmère rouge, soit dans les années 1980, elles étaient nécessaires, tant le pays était à feu et à sang, et tant il y avait tout à reconstruire, aujourd'hui elles ont bon dos pour justifier un assistanat qui sert tout sauf la cause du Cambodge. Mais comme rien n'est controlé... Et elles restent là, ça fait des décennies maintenant qu'elles sont là, alors que l'idée d'une ONG à la base c'est quand même de mener un projet de développement qui soit viable sans elle, puis de s'en aller, non ? Mais personne ne se pose de questions et, quand tu vois combien sont payés certains de leurs responsables, tu comprends mieux qu'ils ont tout intérêt à rester là. Et ensuite, en France, les mêmes viennent toujours te présenter la même image du Cambodge, une vision misérabiliste au possible. Bonjour l'envie de se reconstruire après ça..."<br />
Prisonnier à la fois d'un passé douloureux et jamais raconté, et d'un futur qui n'offre pas beaucoup de perspectives, le Cambodge semble s'embourber doucement mais surement, cas d'école de l'aide humanitaire et de ses travers. Solène et Laurent poursuivent :<br />
"Il y a aussi, ici, une violence latente, qu'on masque derrière un sourire et une attitude policée, mais qui s'exprime de temps à autres de manière extrême. Comment faire autrement après les années de terreur de Pol Pot ? Une étude a récemment montré que 70 pour cent de la population cambodgienne avait des problèmes psychologiques. Ici, on l'a vu avec par exempls notre chauffeur de tuk-tuk, une vraie crème, à qui on laisse les enfants en toute confiance, et qui s'est retrouvé à brandir une barre de fer à bout de bras, en pleine rue, après un accident avec un autre type. Il a fini par se calmer parce que j'étais là, avec les enfants, mais quand même, je t'assure que ça fait bizarre !"<br />
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De mes conversations avec eux se dessine donc un Cambodge complexe et passionnant, aux questionnements multiples, que mon simple passage chez les gens ne me permet pas vraiment d'appréhender. Car mon voyage au Cambodge a, inévitablement, quelque chose d'un peu frustrant : je n'avais pas prévu que j'y passerais autant de temps, alors je n'ai pas pris la peine d'apprendre la langue. Comme en Hongrie, je traverse le pays sans base, condamnée à une communication minimale avec les familles qui m'accueillent. Confamnée à ne pas vraiment comprendre le pays, à ne pas pouvoir le rationnaliser, condamnée surtout à laisser toutes mes questions sans réponses. Tant pis. Tant mieux : car ce faisant, j'apprends à appréhender autrement le pays : à le ressentir. Mes sens en alerte s'en donnent à coeur joie. L'odeur de la pluie sur le bitume quand vient enfin éclater l'orage libérateur d'une journée harrassante de mauvais soleil... La caresse d'un souffle de vent sur ma peau. Les couleurs électriques, métalliques, royales du ciel à l'infini. Le picotement de la soupe au gingembre : tout me pénètre en douceur. Je deviens hyper-sensible, réceptive à tout : et le soir je reste longtemps les yeux grands ouverts, étendue sous la moustiquaire, à écouter le moindre bruit, le jappement des chiens, le rire des enfants qui ne s'arrêtent décidément jamais de rire, le ronronnement des moteurs, le crépitement de la pluie.<br />
Et ça tombe bien : le Cambodge est d'abord un pays qui se ressent. Délicatesse ; peut-être que pour l'aimer, il ne faut pas chercher à le comprendre ; seulement lui sourire, et le voir venir comme un cadeau. Et je me prends, au bord du Mékong, à rêver de poser mon vélo, d'enfoncer mes deux pieds le plus profondément possible dans la lathérite, cette terre rouge et meuble comme devraient l'être toutes les terres, à m'y planbter comme un arbre et à rester là pour des siècles, ancrée à la terre.<br />
Il y a ici quelque chose qui me touche profondément sans que je sache quoi exactement. Peut-être seulement le fait qu'ici on se lave à l'eau de pluie et qu'on se sèche au soleil. Que tout semble simple et doux. Je traverse le pays avec pour livres de chevet les témoignages des survivants de la période khmère rouge. Le contraste entre la brutalité, la froide exécution de l'horreur, et la vie des cambodgiens que je rencontre chaque jour, leur gentillesse souriante, me fascine. Rien n'est réglé au Cambodge, le passé ne passe pas, il semble roder, tapi, prêt à bondir... Mais au-delà, il y a cette vie au présent, cette vie qui est là tout entier, et ces scènes fugaces que je tente d'ancrer à jamais dans ma tête : deux fillettes en ombre chinoise qui jouent au badminton dans une ruelle sombre. Un jeune homme qui lit en tailleur sur les bords du Mékong. Une gamine qui danse en riant aux éclats sous la pluie, se croyant seule...<br />
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Le cinéaste franco-khmer Rithy Panh, rescapé du génocide, écrit : "Aux intellectuels de l'Ouest, qui ont rédigé des odes et des poèmes, des tracts, des livres, ou des articles enthousiastes, et qui aujourd'hui encore, depuis le monde démocratique, aspirent à un communisme nouveau, purifié, lissant dans les salons leur radicalité de velours, je dis : il n'y a qu'un homme". Tout est dit.<br />
Et c'est peut-être pour cela que ce pays me bouleverse aussi profondément - comme me bouleversait l'Iran de Sareh. Parce qu'au delà des idéologies froids et pures, il y a toujours un homme, qui sourit au bord de la route.<br />
En parcourant à vélo les routes cambodgiennes, je n'ai jamais autant l'impression de communier avec mes frères humains.<br />
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Quelques kilomètres avant la frontière laotienne, je suis frappée de plein fouet, Fièvre de cheval, articulations douloureuses : un retour à Phnom Penh s'impose pour quelques tests. C'est le chikungunya. Repos forcé, et somme toute pas désagréable, dans une maison que je commence à bien connaitre... Merci, Solène et Laurent.</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-51628621648903558172012-06-13T03:12:00.000+02:002012-06-13T03:22:39.344+02:00Le vieux aux secrets. Phnom Penh, km 10 260<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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Mon séjour au Cambodge, après avoir avalé tout rond la Thailande, commence par une rencontre ratée. Etonnement de me voir là, méfiance, problèmes de compréhension surtout : les habitants du premier village à qui je demande l'hospitalité appellent la police. Je passe la nuit au commissariat, sans que l'on me fasse le moindre reproche mais parce que les gendarmes estiment que je ne peux pas dormir ailleurs. Ambiance de bienvenue... Mais je ne m'en fais pas trop : j'ai appris depuis le temps qu'il faut toujours faire confiance à son chemin. Il sinue parfois un peu, mais pour peu que l'on sache s'y arrêter, il offre toujours des merveilles.<br />
D'ailleurs le lendemain, à Siem Reap, le point de chute de tous les explorateurs en herbe des temples d'Angkor, je fais connaissance avec Kol, franco-khmer, ami d'amie d'amie débusqué en quelques mails de dernière minute et qui me reçoit chez lui trois jours. A peine arrivée, il m'amène, à la nuit tombante, faire un petit tour de moto entre les temples. La foule de touristes a déserté et personne ne nous demande rien, surtout pas les billets d'entrée que nous n'avons pas. Nous avons les temples pour nous tous seuls. Ces immenses visages au sourire insondable, mais si pénétrant, me touchent au coeur, tandis qu'autour de nous seuls les grillons, en de longues plaintes surréalistes, composent la bande-son de ma rencontre avec l'invraisemblable art angkorien. Instants d'éternité.<br />
Et dire que vingt-quatre heures auparant je rongeais mon frein, couchée à même le sol dans la salle surchauffée du poste de police ! Décidément c'est vrai, la route ne trahit jamais...<br />
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Après ma pause bienvenue à Siem Reap, mes heures passées à vélo sont un bonheur. Je pédale, depuis la frontière, comme enveloppée : enveloppée de tous ces "hellos !" joyeux qui rebondissent le long du chemin, d'une maison à l'autre, annonçant ainsi mon arrivée aux suivants qui sortent alors de leurs maisons en courant pour venir à leur tour me saluer. Le Cambodge tout entier se charge de m'accueillir et veille à ce que je ne me sente jamais trop seule. Cela donne, tout soudain, à mon périple des airs de jubilée de la Reine, ma main droit se retrouvant plus occupée à distribuer les signes de bonjour qu'à tenir le guidon. Mais cela crée surtout un lien ininterrompu, un échange permanent de regards et de sourires qui m'impressionne beaucoup.<br />
Et sur la route, le spectacle est permanent. Je suis un jour dépassée par des discothèques sur roues : deux fourgonettes ouvertes aux quatre vents qui passent dans un tumulte de pop asiatique, et à l'intérieur desquelles se déhanchent quelques jeunes qui s'accrochent à peine aux parois du véhicule pour éviter une chute fatale... Je dois me frotter les yeux pour être bien sure que je ne rêve pas. Plus souvent, je croise des motos ordinaires sur lesquelles sont attachés, à l'arrière, deux énormes cochons beuglant tout ce qu'ils peuvent, étendus l'un sur l'autre, de tout leur long, sur le porte-bagages. Ou d'autres motos encore, conduites par des adolescents renfrognés, à l'arrière desquelles émergent, véritable queue de paon, plusieurs tiges en éventail, pointées vers le ciel, embrochant chacune plusieurs canards morts et déplumés, et qu'ils vont vendre sur le bord de la route aux conducteurs ayant décidé qu'il y aurait du canard au diner...<br />
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Plusieurs fois par jour, tout ce beau monde qui se croise tant bien que mal sur les routes défoncées du Cambodge s'arrête de vivre. C'est qu'en un instant, sans que l'on comprenne comment il est possible que cela aille si vite, le soleil a disparu derrière des nuages énormes, énormes, et si noirs ! Et à peine a-t-on eu le temps de sentir la première goutte s'écraser de tout son poids sur le coin de notre nez, indécemment grosse, que c'est le ciel entier qui nous tombe sur la tête. Pour mon vélo, c'est toujours un désastre. Branle-bas de combat, je sors mon kway comme je peux, recouvre ma sacoche avant de l'indispensable bache plastique qui une fois sur deux s'envole au milieu de la chaussée avant d'être convenablement ajustée, et fais le gros dos en dégoulinant de partout. Une épopée à tous les coups. Sur la route, plus personne pendant quelques minutes. Du fond de leurs gargottes, les clients regardent en silence la pluie tomber, comme étonnés à chaque fois d'une telle violence. Puis le front passe, l'ondée s'adoucit, sortir redevient envisageable malgré les flaques impressionnantes que la chaussée n'arrive pas à boire. Et ce ciel ! Le ciel après la mousson fait à lui seul accepter les quelques minutes insensées qui le précèdent. Phosphorescent, métallique, hésitant entre le bleu et le gris, tout chargé de nuages qui ne se contentent pas d'être là, bêtement, comme de simples nuages, mais qui s'étirent, qui s'enchainent, qui tracent des perspectives et des lignes de fuite, et qui rendent le ciel profond. Profond et plein.<br />
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Ici les maisons ont de grandes pattes, qui les sauvent chaque année des inondations, et une unique pièce à l'étage, immense et toujours presque vide, si ce n'est une table, parfois quelques chaises, le temple près duquel brulent toujours quelques batons d'encens, et la sacro-sainte télé, branchée dans un coin et qui ne fonction que pendant les rares heures ou le courant passe. Les familles qui m'accueillent sont invariablement douces et souriantes. On fait venir les jeunes pour qu'ils me parlent anglais, les vieux pour qu'ils me parlent français. Comme ce premier soir après Siem Reap. Le couple de petits vieux qui m'avait accueillie, recueillie plutot au cours d'un orage phénoménal, était adorable, mais peu causant. A peine avaient-ils approuvé à ma requête, avaient-ils fait rentrer mon vélo pour qu'il échappe aux trombes d'eau, m'avaient-ils tendu une chaise en me souriant gentiment. Pas un mot d'échangé, seulement des sourires, et nous avions regardé longtemps la pluie tomber. Et puis, après ces longues minutes silencieuses, le vieux s'était penchée vers moi, et m'avait dit, tout doucement, si doucement que je l'avais à peine entendu, mais dans un français fluide et sans accent : ''est-ce que vous avez faim ?"<br />
Il était presque sourd : ne comprenait pas quand je lui parlais, ne répondait à mes questions que par un petit rire gêné qui me montrait qu'il n'avait rien entendu. Alors tant pis : ce soir-là, pas de dialogues, pas de questions, malgré toutes celles qui se bousculaient à mes lèvres. Ce soir-là, j'étais suspendue à ce qu'il voulait bien me livrer. Suspendue à ses rares paroles, suspendue plus encore à ses silences, si longs, si lourds.<br />
Il avait commencé à me raconter qu'il habitait Phnom Penh, il y a longtemps, bien longtemps, avant 75, avant les Khmers Rouges et l'exil forcé vers la campagne. Et quand Pol Pot... Il avait hésité, s'était tu, m'avait regardée, avait haussé les épaules dans un sourire si triste, si triste. D'un mouvement de tête, il avait chassé ce qu'il venait de dire. Avait murmuré : "enfin c'est fini..." et s'était replongé dans le silence.<br />
Ne pas dire. Ne pas raconter l'horreur de ces années, cette violence inouie qui venait de l'intérieur et qui a tué près du quart de la population, ces détails sordides et abjects, les têtes cassées à coup de pioche pour économiser les balles, les nourrissons massacrés à mains nues. Ne pas dire la terreur de ces années-là et la terreur qui doit le tenailler, surement, aujourd'hui encore. Ne pas le dire et tenter de l'effacer, d'un coup de tête vers la télé, ne pas le dire et pourtant ne pas pouvoir s'empêcher, les rares fois ou il ouvre la bouche ce soir-là, d'y revenir. D'essayer d'en parler, et de se taire, finalement, incapable d'aller plus loin.<br />
Avant de se coucher, il avait farfouillé dans le tas de papiers qui jonchaient la vieille table usée, en avait finalement tiré une pochette plastique de laquelle il avait précautionneusement sorti une photo vieillie : celle d'un jeune couple souriant dans un décor ringard au possible. C'était son oncle, écrivain et tué par les Khmers rouges qui n'aimaient pas beaucoup que l'on réfléchisse. Il n'avait rien ajouté. De nouveau, ces silences, si lourds de secrets, et je l'avais longuement regardé à la dérobée, perdu dans des souvenirs monstrueux dont il semblait ne plus pouvoir sortir.<br />
Je les avais quittés très émue le lendemain matin. Eux aussi, je crois.<br />
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Comment se reconstruire aujourd'hui, quelques trente-cinq ans après l'inexplicable, le monstrueusement inexplicable, quand ceux qui en ont réchappé se retrouvent pour la vie prisonniers de ces quelques années, incapables d'en parler, ne pouvant s'empêcher d'y revenir pourtant ? Et quand les plus jeunes ignorent tout de la tragédie et, surtout, ne veulent rien en savoir ?<br />
A Phnom Penh, le mémorial du génocide est installé à S-21, le camp d'extermination qui vit périr plusieurs dizaines de milliers de personnes. Les cellules de fortunes et les salles de tortures, conservées telles quelles, cotoient des centaines de photos de victimes dont les regards noirs en mosaique hantent longtemps ceux qui les contemplent. Le lieu est chargé jusqu'à l'écoeurement de douleurs indicibles. Il retourne le coeur, donne honte à tous les êtres humains. J'y retrouve le même sentiment d'horreur qu'à Auschwitz, le même hurlement qui vient des tripes et ne veut pas sortir. Pour calmer un peu cette angoisse, cette sensation de souffrance universelle, j'allume un baton d'encens, en pensant à l'oncle de mon petit vieux aux secrets.<br />
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En ressortant de ces batiments témoins de l'enfer, quelque chose me trouble plus encore. Un groupe piaillant de collégiennes en uniformes se prend en photo sur les tombes des dernières victimes du camp. Doigts en V, sourires enjoleurs, éclats de rire outranciers. Elles prennent la pose contre la potence qui trone encore dans la cour du camp et s'interpellent d'un bout à l'autre du batiment dédié aux tortures.<br />
Comme elles le feraient dans la cour de récréation de leur collège.<br />
C'est le professeur qui prend la photo, lançant des blagues pour mieux les faire sourire.<br />
Je rentre avec une nausée persistante, et la terrifiante sensation que, demain, peut-être, tout pourrait recommencer à l'identique.</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-71001777771107449662012-05-30T05:21:00.005+02:002012-06-13T03:12:38.348+02:00Le vent dans le dos ! Sisophon, km 9800<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhLVPQDbEAwT7XNA3uvt7bzEVgT3LFJ_Z_FF4Wnq3c1h0tXz0YPmqiAaC71VdWNLBcMpyDcUpUHg8-38mOwPO7h6uGylv1yJfiyxFFQQQociLE2U2rO2mUn-qMddVh_OV6znkadM3OKukeu/s1600/Picture+001.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhLVPQDbEAwT7XNA3uvt7bzEVgT3LFJ_Z_FF4Wnq3c1h0tXz0YPmqiAaC71VdWNLBcMpyDcUpUHg8-38mOwPO7h6uGylv1yJfiyxFFQQQociLE2U2rO2mUn-qMddVh_OV6znkadM3OKukeu/s320/Picture+001.jpg" width="240" /></a></div>
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Enfin, après quelques semaines d'oisiveté, je reprends la route ! Après les quelques jours au frais à Darjeeling, à avaler des litres de thé en regardant les montagnes, la redescente sur Calcutta pour mes derniers jours indiens est brutale. Replongée dans la torpeur et la folie de l'Inde des plaines, je bloque une dernière fois, au point que je passerai mes quatre jours d'attente de mon train enterrée au fin fond de l'Alliance Française. Quatre jours au milieu de Bourdieu et de Foucault : décidément, il est temps que je reprenne le vélo !<br />
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Je retrouve celui-ci ou je l'avais laissé, à Jaipur. En deux décollages, terrifiants comme il se doit, et autant d'atterrissages, je dis adieu à l'Inde une bonne fois pour toutes, et je débarque à Bangkok. La chaleur moite n'est guère différente de celle de Calcutta. Pourtant, à me balader dans les rues de la capitale thaie, je mesure le bonheur de me retrouver dans une atmosphère enfin sereine. La Thailande n'est certes pas moins dépaysante que l'Inde : nouvelles odeurs, nouvelles couleurs, nouveaux fruits étranges, nouvelle intonations inconnues. Mais l'Inde m'assaillait sans répit. A force de me gaver démesurément, elle avait fini par m'écoeurer. La Thailande au contraire se laisse découvrir au rythme que l'on a choisi. Les petites ruelles de Bangkok n'affichent aucune ostentation. Elles se cachent au regard et c'est pour cela que je retrouve aussitot l'envie de les débusquer. La ville me rappelle parfois Téhéran, pour ses artères ahurissantes baties en dépit de tout sens esthétique et pour la vie qui s'en fiche et qui y fleurit quand même, parfois Dubai pour ses immenses tours de verre exhubérantes de modernité et de luxe. Mais les temples thais, les monastères au bord du fleuve sont uniques et charmants, peuplés qu'ils sont de bouddhas dorés, de dragons de pierre et de toutes sortes de créatures magiques statifuées, directement sorties d'un rêve.<br />
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Pendant ces quelques jours à Bangkok, je loge chez Pop et sa petite famille. Pop tient un cybercafé, en attendant d'ouvrir une guesthouse, dans la rue ou il est né et, en soirée, c'est justement toute la rue qui s'y presse et s'entrecroise, pour quelques heures passées sur le net, pour une partie de Fifa 2012 à la Playstation, ou juste pour quelques mots échangés, quelques potins rapportés. Dans ce quartier du vieux Bangkok, les générations se succèdent sans que les gens ne partent vraiment - les adultes veillent sur les jeunes, qui une fois adultes veilleront sur ceux qui aujourd'hui sont encore des marmots. Ainsi va la vie et défilent les années, sans se presser. Parmi les habitués du repaire de Pop, il y a ce jeune qui veut travailler dans le tourisme et qui vient prendre auprès de Pop des leçons pratiques ; il y a toute la famille du coin de la rue, qui tient une gargotte à ciel ouvert et qui sert de délicieux petits plats pas chers à même le trottoir ; il y a aussi ces deux gamins d'à peine quinze ans et déjà mariés, parce que c'était plus simple que de se fréquenter dans une société ou priment les conventions. On les regarde se sourire en coin, adopter les mêmes codes amoureux que tous les jeunes du monde, et on se demande, avec un brin d'inquiétude, jusqu'à quand ça durera. Et il y a Pop, une mère perdue trés tot, une enfance pas très facile, à deux pas de là ou il habite maintenant, et l'arrivée en France, à l'age de neuf ans, sur les traces de sa cousine. En huit heures du temps, le petit thai a été transporté de la plus vieille avenue de Bangkok à un grand appartement rue Solférino. D'une famille thaie élargie à une famille française bourgeoise toute neuve, qui l'adopte pour une dizaine d'années. Il retourne à Bangkok à l'aube de ses vingt ans, une double identité en poche, une double culture dont il semble tirer une richesse immense.<br />
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L'heure est enfin venue de repartir. Un petit état des lieux avant le premier coup de pédale. Mes semaines de repos m'ont fait un bien fou. J'ai le sentiment de commencer un nouveau voyage, peut-être un peu plus sereine qu'avant. Avec la certitude que non, je ne peux pas tout faire, mais que je peux en faire beaucoup. Que je saurai m'arrêter si cela devient trop dur, mais que pour l'heure, je n'ai qu'une envie : rouler jusqu'à Shanghai ! Et ce vent dans le dos qui me pousse à la sortie de Bangkok, ce n'est pas encore celui de l'arrivée - il en faudra, des épreuves, avant de voir Shanghai... Mais bel et bien un enthousiasme réaffirmé, une envie de croquer la route dont je me rends compte à présent que je l'avais perdue sur les routes de l'Inde. Les mollets tout heureux de servir à nouveau, les poumons qui se gonflent et le coeur qui bat plus vite, le regard qui cherche dans quelques centaines de kilomètres les rives du Mékong, les kilomètres que j'avale tout rond, les sourires de ceux qui me regardent passer et qui viennent faire écho à mon propre sourire. Bangkok-Shanghai, nouveau départ...<br />
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<br /></div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com9tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-37079170513251863142012-05-11T11:18:00.002+02:002012-05-11T11:19:14.245+02:00Au bord du fleuve. Darjeeling.<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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Je n'aurai pas suivi le Gange à vélo... Mais il y avait en tout cas une ville ou je me devais d'aller. Varanasi, l'ancienne Bénarès, est l'un de ces lieux qui font travailler depuis longtemps l'imaginaire. L'un de ces lieux qui justifient les rêves, les projets, les départs.<br />
Car Varanasi, c'est d'abord le Gange, qui à cet endroit forme un coude, un parfait croissant de lune permettant, sur les rives du fleuve, d'observer la ville jusque loin. D'immenses escaliers, les ghats, mènent jusqu'au fleuve les pélerins qui débouchent des petites ruelles adorables et sinueuses. Pas d'autre bruit sur ces marches que les cris des enfants, le bourdonnement d'une prière, le claquement du linge qu'on lave dans le fleuve et qu'on frappe sur de grosses pierres. Le chaos de la foule et de la circulation est bien loin, de ce coté-ci de la ville. En journée, cet isolement du bord du fleuve est une bénédiction. Ecrasés par le soleil implacable que ne cache aucun arbre, aucune façade, les Indiens du fleuve dorment sur leur bateau qui tangue, ou sur une marche inconfortable. Les plus jeunes jouent au cricket, et se dévouent avec bonheur pour aller récupérer la balle tombée dans le fleuve dès que le batteur a mis un peu trop d'enthousiasme dans son coup. Quelques buffles les interrompent dans leur jeu en descendant lourdement les marches avant de s'immerger totalement dans le fleuve - presque totalement : les naseaux seuls dépassent, donnant à tous ceux qui les observent, accablés de chaleur, l'envie folle de se jeter à l'eau. On croise bien, au hasard des déambulations que l'on entreprend le long du fleuve, quelques saddhus en prière, quelques autels ou l'encens brule. Mais à cette heure-ci de la journée, ceux-là même semblent participer à ce calme. Les bourdons des prières sont la bande-son parfaite de ce décor de paresse bienheureuse.<br />
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En journée donc, le Gange isolé du monde réel n'est que tranquillité et bonheur paisible.<br />
L'atmosphère change avec la tombée de la nuit. Quelque chose se tend, imperceptiblement. L'air ambiant se fait plus lourd, chargé soudain d'électricité ou d'autre chose. On ne flane plus au hasard, l'air de rien. On sent que quelque chose se passe, et, irrépressiblement, on converge vers le ghat tout embrasé de lumière, le ghat principal ou déjà résonnent les tambours. Là, à la tombée de la nuit, un rituel immuable se déroule. Chaque soir, au chant d'un sixième, cinq brahmanes remettent au Gange la lumière du soleil. Une heure durant, en une danse soigneusement organisée, ils brulent l'encens, soufflent dans leurs conques, parsèment la terre et l'eau de pétales de rose, exécutent une infinité de gestes dont la signification demeure obscure à la foule qui les contemple. Le Gange s'est couvert de petites bougies vascillantes qui flottent un temps dans l'eau avant de s'éteindre. Leurs flammes tremblottantes et incertaines forment un joli contraste avec le cadre si calibré du rituel des brahmanes. Ce même rituel, là, soir après soir, sans déroger, depuis des millénaires...<br />
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A Varanasi, on vient aussi mourir. Les chanceux qui expirent dans la cité sacrée sont libérés du cycle infernal des réincarnations. Voilà pourquoi on croise partout sur les bords du fleuve des hommes, des enfants, des femmes, le crane rasé, signe de deuil chez les hindous. Les corps sont brulés au bord du fleuve, les cendres déposées dans l'eau sacrée. Cette tension, le soir, aux abords du principal ghat de crémations ! Les regards à l'arrivée de tout étranger sont méfiants. Surtout, ne pas prendre de photos ! nous répète-t-on. Comme si cela m'était venu à l'esprit. Les corps arrivent à une cadence effrénée. On meurt décidément beaucoup à Varanasi. Tout parés de soie dorée, couchés sur des brancards, les corps sont amenés par les hommes de la famille jusqu'à l'un des buchers qui brule sans discontinuer. Là comme à la prière, un même vertige me prend. Ces feux qui brulent, sans jamais s'éteindre, jour après jour depuis des millénaires...<br />
Un peu plus au sud, sur le fleuve, un autre ghat est dévolu aux crémations. Ici l'atmosphère n'est pas la même. Des gamins jouent toujours près des buchers. La mort ici est naturelle, si naturelle qu'on ne voit pas l'intérêt de la séparer de la vie ambiante. Lorsque j'y passe la première fois, un groupe de momes, le crane fraichement rasé, déboule en hurlant de rire, un énorme matelas pneumatique porté à bout de bras au-dessus de leurs petites têtes tondues. Contournant les feux de crémation, ils précipitent le matelas dans le fleuve et se jettent dessus à grands cris. La frêle embarcation adresse de grands signes aux hommes qui attisent les feux sur la berge. Ceux-ci leurs répondent en souriant. Ces rires ! Peut-être que lorsque la vie cotoie la mort de manière aussi prégante, elle n'en devient que plus éclatante. Ainsi va Varanasi, la ville ou sur le fleuve blanc des heures matinales, tout est possible, tout arrive, et tout n'en semble que plus vrai.<br />
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Après une grosse semaine, les montagnes me font de l'oeil.<br />
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Avant Darjeeling, je fais une courte escale à Calcutta. L'humidité et la chaleur m'étreignent dès ma sortie du train. Calcutta n'est pas une ville comme les autres. Calcutta est poisseuse, Calcutta est collante. Elle vous agrippe et ne vous lache pas, vous accablant de sa moiteur, de sa foule toujours pressante, toujours en mouvement. Elle vous suffoque toujours un peu.<br />
Calcutta, la ville de tous les extrêmes, ou les pousse-pousse n'ont pas de roues, mais des jambes, et courent sous des chaleurs harrassantes, transportant dans des sièges de fortune de gros bourgeois qui s'éventent. Calcutta, la ville de la grande pauvreté, qui se cache dans le centre-ville mais que l'on devine, chez ces gosses hauts comme trois pommes qui semblent n'appartenir à personne et qui gambadent les fesses nues entre les voitures. Ou dans cette foule, trop dense, bien trop dense pour que tout se passe bien et pour que personne ne soit lésé. Ou dans ces toits de tole qui fleurissent sur les grandes avenues et sous lesquels on aperçoit, parfois, un regard.<br />
Calcutta, créée par les anglais, batie par eux. En s'installant là, en imposant leur propre système partout dans la plaine du Gange, en prolongeant la domination moghole, ils contribuèrent à appauvrir considérablement une région pourtant fertile et prometteuse. Dans l'est de l'Inde, l'une des régions de grande pauvreté de la planète, les effets se font encore sentir aujourd'hui.<br />
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Et pourtant il est un lieu envoutant à Calcutta. Un lieu qui vient raconter autre chose que cette éternelle histoire de domination et d'asservissement. Caché derrière ses hauts murs, discret au possible à deux pas de la circulation incontrolable de l'avenue, le cimetière de Park Street est plongé dans un sommeil éternel. Passé la porte, le lieu surprend : c'est un bric-à-brac étonnant, une accumulation de tombeaux plus grandiloquents les uns que les autres. Mausolées à colonnes, pyramides, obélisques : un amas de ruines bouffées par les tropiques. L'humidité a fait une bonne partie du travail. Les arbres envahissants font le reste. Le cimetière est un entassement de vieilles pierres kitshes que vient dévorer la jungle. On ose s'aventurer dans cette touffeur : dès les premiers tombeaux, les inscriptions qu'on lit sur la pierre révèlent des tragédies insoupçonnables. Les colons enterrés là au tournant du vingtième siècle avaient rarement plus de trente ans à leur mort. Décimés par les mutineries et les révoltes, tombés comme des mouches sous le coup des fièvres tropicales. Des vers de pacotille exaltent ça et là les beaux yeux de Margaret, le sens de l'honneur d'Edward. Ces quatrains, comme ces luxueux tombeaux dont l'on ne voit pas vraiment la poésie qu'ils dégagent mais plutot les dépenses somptuaires qu'ils ont du entrainer, masquent mal l'ampleur des drames que raconte chacune des dates gravées.<br />
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Dans <u>l'Antivoyage</u>, Muriel Cerf raconte comment, dans les années 1970, après avoir passé la soirée dans une maison de diplomates britanniques à Calcutta qui n'ont eu de cesse de lui raconter à quel point la vie était douce et saine ici, elle est glacée par le cri d'horreur de la petite fille de la maison qui la voit se frotter les yeux. "Don't touch your eyes !" supplie-t-elle, de manière irraisonnée, parce qu'une épidémie de conjonctivite a éclaté dans les environs. Un cri terrifiant dans cette maison ou tout le monde s'obstinait à croire que tout était normal. Le cimetière de Park Street ne dit pas autre chose. La bonne bourgeoisie britannique, fondatrice de la ville, a du se demander souvent avec angoisse ce qu'elle faisait là, prisonnière de cet enfer, condamnée à voir tous ses jeunes gens mourir avant trente ans. Peut-être a-t-elle du longtemps se sentir étouffée, lentement machée et digérée par cette Calcutta sortie de ses mains, tout comme la ville semble aujourd'hui encore se repaitre de ces tombeaux en ruine sous la mousse.<br />
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A Calcutta, les uns dominaient quand les autres sombraient dans une misère dont ils ne sont toujours pas remis. Mais à Calcutta il n'y eut pas de vainqueur, les uns et les autres englués ensemble dans l'inextricable désespérance de cette cité maudite.<br />
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Après Calcutta, Darjeeling et les plus hauts sommets du monde sonnent comme une délivrance. Je me perds quelques jours sur les sentiers montagneux. Le temps de me souvenir d'à quel point l'effort a du bon. D'à quel point le chemin rend libre... Le temps de retrouver, enfin, mes fourmis dans les jambes et l'envie de remonter sur mon vélo. Celui-ci doit piaffer d'impatience de voir la Thailande. Un dernier coup d'oeil aux montagnes, et je pars le retrouver. <br />
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<br /></div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com9tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-33676636864847075192012-04-25T19:36:00.000+02:002012-05-11T11:20:30.362+02:00L'Inde des Grands Moghols. Varanasi<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" class="yiv1118408983" id="yiv1118408983bodyDrftID" style="font-family: arial;"><tbody>
<tr><td id="yiv1118408983drftMsgContent" style="font-size: 10pt; font: inherit;"><div>
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Me revoilà donc pour un temps, et avec bonheur, redevenue piétonne et voyageuse plus classique.</div>
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A Jaipur, ma décision de laisser là mon vélo me permet de rester quelques jours supplémentaires, et d'assister à la grande fête que la famille de Kanu avait organisée pour commémorer la mort de l'arrière-grand-mère, quelques années auparavant. Cela faisait des jours que tout le monde ne parlait que de cette fête, et la famille était arrivée au compte-gouttes, des quatre coins du Rajasthan, toute la semaine précédente. Chaque jour voyait la maison un peu plus remplie, un cousin venant s'ajouter à l'autre pour dormir tous en rang d'oignons, dans le grand salon ou la chambre de Kanu. A cela s'étaient ajoutés des rituels toujours différents selon les jours, en prévision de la grande cérémonie : le henné sur les mains, l'huile de coco dans les cheveux... Drole de mélange, entre rites obligatoires et joies des retrouvaille. Kanu et ses cousines chuchotent en pouffant jusque tard dans la nuit, confidences échangées sur les matelas posés par terre.</div>
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Le dimanche matin nous cueille tot avec l'arrivée de toute la famille élargie, qui débarque aux premières lueurs de l'aube, piaillant, s'échangeant les bises en même temps que les dernières nouvelles puis fonçant chacun son tour dans la salle de bain pour une douche salutaire. </div>
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Les choses se précisent aux alentours de dix-neuf heures. Les femme se précipitent dans la chambre, des étoffes multicolores dans les mains. C'est que pour la cérémonie, il est d'usage de porter quelque chose de neuf. Et les saris qu'elles ont choisi pour l'occasion sont tous somptueux. A chaque fois que l'une d'elle sort de la salle de bains attenante, vêtue différemment du moment ou elle y est entrée, j'en ai le souffle coupé. Saris vert bouteille, saris jaune roi. Le plus majestueux est sans doute celui de la jeune tante de Kanu, un sari bleu nuit presque noir dont les perles argentées qui le parsèment sont autant d'étoiles.</div>
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Au rez-de-chaussée, les chants de prière sont déjà tonitruants. Il est vingt heures : ils dureront jusqu'à quatre heures du matin. Tout le monde est assis en tailleur, autour du prêtre - un membre de la famille - qui s'époumonne dans le micro, accompagné de son harmonium, d'un violoniste et de quelques percussionnistes. Au centre du cercle qu'ils forment, le père de Kanu, l'ainé des petits-enfants de la défunte, danse, tout seul. Il dansera toute la nuit, sans jamais s'arrêter. Comment traduire l'expression que je découvre sur son visage, au moment ou je l'aperçois ? Comme un bonheur pur, qui le fait sauter, le yeux clos, qui lui fait arborer un sourire de félicité inébranlable. Sa danse est tantot frénétique, tantot extatique, au grédes chants religieux, au gré de son humeur.. Car ce qui l'anime semble plus complexe qu'une simple joie. Ainsi je le vois s'approcher de sa mère, le même sourire heureux aux lèvres, la regarder une seconde, en suspension... Et tomber dans ses bras, en larmes, sans pouvoir se calmer.</div>
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Sur la piste de danse, il est tantot rejoint par les uns ou les autres qui dansent tous avec le même bonheur. Kanu et ses cousines s'autorisent une danse toutes les demi-heures, auxquelles je me joins à chaque fois. On prend parfois à pleines poignées des pétales de roses qu'on jette sur l'assemblée. On se bénit avec des bougies, de la poudre ou même des billets de banque, auxquels on fit faire ds tours au-dessus des têtes avant qu'ils ne finisent dans l'harmonium du prêtre musicien. Et l'on accueille les nouveaux arrivants dans d'immenses embrassades. Les hommes dansent, leurs neveux dans les bras. Les plus vieux ont aussi droit à leur tour de danse, soutenus par les plus jeunes. Beaucoup de rire, quelques larmes, une nuit de danses et de prières ; cette cérémonie, c'est aussi et peut-être avant tout la possibilité de retrouver pour une soirée toute sa famille, tous ceux qui avaient la défunte pour aieule. </div>
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Le lendemain matin, je quitte jaipur dans un décor de champ de bataille - le salon investi de dizaines de dormeurs couchés n'importe comment. Direction Agra !<br />
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Après Jaipur, le plaisir que me procure le fait me retrouver seule avec moi-même est très ressourçant. Les quelques jours passés à Agra ne me font pas rencontrer grand monde - et c'est très bien comme ça. J'apprécie trant le fait de ne plus être l'objet permanent de l'attention de tous et rétrospectivement, je comprends à quel point cela était pesant... Alors ces jours passés à Agra, je les passe dans un état d'esprit particulièrement contemplatif, ne recherchant pas vraiment le contact, jouissant du fait de pouvoir enfin être à nouveau spectatrice et presque invisible. </div>
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D'ailleurs, Agra, une fois passé le premier choc de l'ambiance un peu excécrable, des gamins qui vous suivent une demi-heure pour une roupie ou un chocolat, des sollicitations permanentes et toujours intéressées, m'apparait presque charmante. Agra, la ville des grand moghols et de l'influence persane, la ville du pouvoir et de la splendeur, la ville de la douleur d'amour, en même temps que celle de la crasse, de la poussière, des ordures. Le Taj Mahal est un sublime joyau qu'encadrent des décharges à ciel ouvert et de vieilles ruines. Je l'admire, d'un jardin un peu en retrait. Ce n'est pas le seul trésor à émerger du chaos d'Agra. D'autres tombeaux d'autres souverains se dressent là, comme perdus dans cette ville qui pourtant n;a pas du beaucoup changer en trois siècles. Mais le contraste n'est jamais complètement choquant et le Taj ne détonne pas au milieu de la décrépitude ambiante. Je suis contente d'avoir choisi ce jardin pour le découvrir. En passant les portes de l'enceinte, en entrant par la "vraie entrée", j'imagine que l'on doit se sentir minuscule, submergé par le Taj, par cette douleur immense, cet amour sublime et parfait. De loin, au-delà de la rivière, dans ce petit jardin, le Taj ne fait pas cet effet. ENtouré de toute cette vie déglinguée, il apparait comme un vieux complice, juste un peu plus beau, un peu plus éclatant que le reste, mais pourtant fait du même roc. Il serait surement moins beau sans tout cela. Ainsi, il nous parle à chacun, au plus profond de nous. Il nous dit l'amour que l'on connait tous, pur comme le marbre blanc, indissociable du reste de nos vies.</div>
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Agra, ou quelques unes des plus belles pages de l'histoire des civilisations se sont écrites, et qui semble aujourd'hui, dans la débauche de vie et de bruits des ruelles tortueuses, en assumer joyeusement l'héritage...</div>
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgAsdJv3iPzl8tfQFNJ76plhGQrHfn3CBTbEPa3Kir753IRqaXR7NWco2z5TID_Ujjn1IgQip6QfhpAKio3Z4G187Ncr9IjZA4T5YUqU6AK2IR50nrQu3AuIO5TKlIPuGiqpVcXDKH3HYV_/s1600/DSCN1745.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgAsdJv3iPzl8tfQFNJ76plhGQrHfn3CBTbEPa3Kir753IRqaXR7NWco2z5TID_Ujjn1IgQip6QfhpAKio3Z4G187Ncr9IjZA4T5YUqU6AK2IR50nrQu3AuIO5TKlIPuGiqpVcXDKH3HYV_/s320/DSCN1745.jpg" width="320" /></a></div>
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</td></tr>
</tbody></table>
</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-63625783563102183472012-04-11T11:31:00.000+02:002012-04-11T11:31:59.056+02:00Quelques vacances. Agra.<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjeAjB27JReBUhdMwjojlIOAegp2RhAIuE5bFnUFsex3EKBhgzyAj-FmImaDg7asDOiiTQILjn3lAujOsAQ_bb4duz8xvAXEaiSCEHz41vzbvPw8a3iI3036r_PU6BQO-e55wNXskmpmrBK/s1600/DSCN1668.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjeAjB27JReBUhdMwjojlIOAegp2RhAIuE5bFnUFsex3EKBhgzyAj-FmImaDg7asDOiiTQILjn3lAujOsAQ_bb4duz8xvAXEaiSCEHz41vzbvPw8a3iI3036r_PU6BQO-e55wNXskmpmrBK/s320/DSCN1668.jpg" width="320" /></a></div><div style="text-align: left;"> </div><div style="text-align: left;"> </div><div style="text-align: left;"> </div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><span style="font-size: 13.5pt;">Après Bundi la bleue, de laquelle j'ai bien du mal à m'arracher, Jaipur la rose. Les couleurs ont changé et je suis ici reçue dans une famille, mais l'angoisse reste la même. Une angoisse terrible qui oppresse ma poitrine et me donne tous les matins de belles crampes d'estomac, à l'idée d'affronter à nouveau les quarante-deux degrés ambiants, le trafic fou et la cohue à chaque arrêt. Je broie du noir dans les rues roses, incapable d'envisager lucidement la suite du voyage. Un rien me fait perdre pied, et je me raccroche, désespérée et pour n'importe quelle décision à prendre, à Tarun, le fils de la maison, qui a mon age et qui semble un peu dépassé par la situation : une Française en détresse dont on se demande, à la voir aussi démunie, si elle vient vraiment de France à vélo. Et ce n'est pas tant la difficulté du voyage qui me fait à ce point douter, que cette attitude résolument fermée à tout que j'adopte en ce moment, et qui va à l'encontre de toutes mes valeurs de voyageuse. <b><o:p></o:p></b></span></div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><span style="font-size: 13.5pt;">C'est lorsque je me surprends à regarder dans le Guide du Routard s'il existe des avions ralliant Jaipur à Paris que je me rends compte d'à quel point la situation est critique. Il me faut vingt-quatre heures de plus et une longue promenade solitaire dans les rues de Jaipur pour que, soudain, après deux semaines de doute et de panique, la solution m'apparaisse clairement : je ne peux plus voyager en vélo en Inde. Persister serait ridicule. Ce serait user mes dernières forces et m'acheminer inévitablement vers une catastrophe : un accident peut-être. Un retour prématuré en France surement. Cela n'a pas de sens de voyager sans envie. Alors tant pis pour la vallée du Gange que je ne descendrai pas en vélo. Tant pis pour ce gros millier de kilomètres que je parcourrai en bus, tant pis pour mon dernier mois en Inde ou je ne toucherai pas à mes pédales. Tant pis, parce que soudain je sais que c'est la seule manière d'aller jusqu'au bout, et d'y aller sans rien regretter.</span><br />
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<span style="font-size: 13.5pt;"><b></b></span><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEimkHyphnST0w3KugwiRHQx25soaY-x2dNCZnpIbo9Ij89uxW8JglnCL_NyWMovMovWncdAKwp-R1pbQyCxfM6dXU1W9eeUthi9t8I8LDwsmapz-OJSEzU-QQJ5TFGMLB5Xgy2ruqZSUewU/s1600/DSCN1662.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEimkHyphnST0w3KugwiRHQx25soaY-x2dNCZnpIbo9Ij89uxW8JglnCL_NyWMovMovWncdAKwp-R1pbQyCxfM6dXU1W9eeUthi9t8I8LDwsmapz-OJSEzU-QQJ5TFGMLB5Xgy2ruqZSUewU/s320/DSCN1662.jpg" width="320" /></a></div><span style="font-size: 13.5pt;"><b><o:p></o:p></b></span></div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><br />
</div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><span style="font-size: 13.5pt;">Pourquoi autant de temps pour prendre cette décision ? Surement parce qu'il faut du temps pour renoncer. Parce qu'après avoir fait 9500 kilomètres, on espère un peu passer le cap du dix-millième au plus vite. Parce qu'on veut toujours se croire très fort et parce qu'on se dit qu'en surmontant cette nouvelle épreuve on en imposera, aux autres et à nous-même. Autant de raisons mauvaises et puériles dont se défaire est loin d'être facile. Et pourtant, une fois que ma décision est prise, je sais que c'est la bonne. Ce n'est pas une décision par défaut. Au contraire : j'ai l'impression en la prenant d'avoir un peu grandi, affranchie du regard des autres et de mes propres barrières. A Calcutta, j'y arriverai en bus. Et alors ? A ce degré de fatigue, de lassitude, et de détresse, c'est la meilleure manière de voyager et d'essayer de comprendre l'Inde. Le vélo a été un moyen fantastique de me déplacer jusqu'ici. Il le sera encore en Asie du sud-est et en Chine. Mais pour l'heure et pour un mois, j'ai mieux à faire. Et soudain je me rappelle les valeurs et les principes de mon voyage, les vrais, ceux que j'avais oubliés depuis des semaines. Ce voyage, ce n'est pas tout faire pour aller le plus loin possible en vélo. Ce voyage, c'est d'abord tout faire pour comprendre le monde dans lequel je vis. Découvrir, partager, rester curieuse et éveillée. Et grandir en acceptant que, parfois, les choses sont un peu trop compliquées, et que le chemin n'en est pas moins beau pour autant.<b><o:p></o:p></b></span></div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><br />
</div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><span style="font-size: 13.5pt;">Et instantanément tout devient plus facile. Maintenant que je sais que les trois prochaines semaines, je les passerai à vadrouiller en bus, quelque part plus libre de mes mouvements et surtout plus anonyme et peut-être moins impliquée, l'avenir me parait radieux, excitant à nouveau, et l'Inde un pays de nouveau attirant. Je suis toujours dans les rues de Jaipur, et au moment même ou je prends ma décision, je suis justement dans une rue que j'arpentais deux jours auparavant. Mais ces marchands de pates de toutes les formes et de toutes les couleurs, ces tas d'épices incroyables sur le trottoir, et le sourire de ceux dont je croise les regards, je ne me rappelle pas les avoir vus la dernière fois... Toute fermée que j'étais, emprisonnée dans mon angoisse, repliée à l'intérieur de moi-même.<b><o:p></o:p></b></span></div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjBWHTqHzEan8COvu8vBq1K7PsFlZvzBSCopakRLltOFSiicQ-D4NxTh-AeBoyqXXOlS7CG8karbbK0whRe3uYNkzrqE-_sAZKjE4KfFQ-I8A6vRAFEXf6uzXbpJ6dSoM2brR_zx45-KOVE/s1600/DSCN1664.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjBWHTqHzEan8COvu8vBq1K7PsFlZvzBSCopakRLltOFSiicQ-D4NxTh-AeBoyqXXOlS7CG8karbbK0whRe3uYNkzrqE-_sAZKjE4KfFQ-I8A6vRAFEXf6uzXbpJ6dSoM2brR_zx45-KOVE/s320/DSCN1664.jpg" width="320" /></a></div><br />
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</div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><span style="font-size: 13.5pt;">Je reste une semaine a Jaipur, dans la famille Nagar qui m'accueille. Avec ce besoin de rester assez longtemps pour construire un début de relation. C'est aussi cela qui a manqué jusqu'ici dans mon voyage en Inde. Quand Tarun se décarcasse pour faciliter au plus mon séjour, sa soeur Kanupriya, dix-huit ans et un physique frêle de souris passe des heures à bavarder avec moi, à se raconter. Elle m'affirme haut et fort qu'elle ne veut surtout jamais se marier. Un choix détonnant dans un pays ou tout est fait et pensé en fonction du mariage. Elle sait très bien que les filles célibataires, une fois passés les vingt-cinq ans, s'exposent aux commérages des voisins, aux rumeurs les plus insultantes et à une réputation qu'elles traineront toutes leur vie. Elle sait aussi que ses parents lui ont affirmé que si elle trouvait un bon job, capable de subvenir à ses besoins, ils ne s'opposeraient pas à son choix. Elle n'en démord pas : le mariage, ça n'apporte que des problèmes. Elle a trop vu sa mère faire passer la famille avant elle-même. Elle revendique le droit à l'égoisme. Je me demande combien de temps tiendra sa décision. Peut-être qu'elle finira par tomber amoureuse et changer d'avis. Rien n'est moins sur : le mariage d'amour n'est pas bien vu en Inde. Il est rare que les parents le soutiennent, vexés de ne jouer aucun role dans l'union ; et si celle-ci se passe mal, les filles auront bien du mal à trouver refuge et soutien dans leur famille. "Je te l'avais bien dit !". La formule et sans appel. A la rigueur, le célibat est préférable. Et Kanupriya n'imagine même pas la possibilité que tomber amoureuse puisse lui arriver, même si elle évoque de temps en temps en pouffant ce garçon "si mignon"...</span><br />
<span style="font-size: 13.5pt;"><b></b></span><br />
<span style="font-size: 13.5pt;"><b></b></span><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiVdt2iAe4RF2pX9FZMJaC5NBhg9sm45Qflq1DqvBf0ySwkHSzfkH9sLIGEl4DrYAneFoKUes3YvtHhamhhc8clnrjTOzhv2UtRQDtuRGTfrJGRV2jTMgJqkCdwO8cOLkm5rEesOCnCUGkD/s1600/DSCN1682.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiVdt2iAe4RF2pX9FZMJaC5NBhg9sm45Qflq1DqvBf0ySwkHSzfkH9sLIGEl4DrYAneFoKUes3YvtHhamhhc8clnrjTOzhv2UtRQDtuRGTfrJGRV2jTMgJqkCdwO8cOLkm5rEesOCnCUGkD/s320/DSCN1682.jpg" width="320" /></a></div><span style="font-size: 13.5pt;"><b><o:p></o:p></b></span></div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><br />
</div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><span style="font-size: 13.5pt;">Pas facile d'assumer des choix non-conventionnels dans une société qui fait pression sur chaque individu. Mais elle en veut, Kanu ; ses quarante-cinq kilos au service d'une détermination à toute épreuve. Elle rêve de devenir ingénieur dans l'environnement, et d'allier inovations écologiques et transformations sociales. Son master, elle voudrait le faire à l'étranger. Ce ne sera pas facile de convaincre ses parents : ils ont déjà refusé que Tarun parte. Pour une fille, ils seront encore plus réticents. Il faudrait qu'elle parte avec une copine, ou que quelqu'un de confiance lui serve de chaperon dans son pays d'accueil. Je la sens déjà qui prospecte, l'air de rien : " Tu sais s'il y a des masters en sciences environnementales, à Paris ?". Il lui faudrait apprendre le français, mais ce n'est pas le genre de défis qui lui fait peur.<b><o:p></o:p></b></span></div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><span style="font-size: 13.5pt;">Quand elle avait huit ans, toute la famille a déménagé de leur village natal, Aklera, jusqu'à Jaipur. Elle et son frère ont été inscrits dans une école privée, ou tous les cours se font en anglais et que les enfants fréquentent d'ordinaire depuis bien plus<b> </b>longtemps. Il lui a fallu essayer de comprendre les cours dans cette nouvelle langue inconnue, en même temps que gérer la violence de ses camarades, trop heureux de pouvoir s'en prendre à deux campagnards fraichement débarqués et n'appartenant pas à la caste majoritaire. "Ils cassaient des oeufs sur la tête de mon frère, parce qu'ils savaient très bien que nous étions végétariens et que cela nous faisait horreur. Evidemment ils se moquaient de mes vêtements, de mon accent... Aujourd'hui on ne parle plus de cette période. Les rares fois ou on l'a évoquée, mes parents ont fondu en larmes." Ils se sont accrochés. Deux ans plus tard, elle était première de sa classe.<b><o:p></o:p></b></span></div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><br />
</div><div style="margin-bottom: .0001pt; margin: 0in;"><span style="font-size: 13.5pt;">Aujourd'hui, elle s'est fait une place parmi ses camarades de lycée, puis de fac. L'ambiance est moins dure, mais la pression reste forte pour espérer trouver l'emploi rêvé. Elle me raconte ces années qui n'en finissent pas, ces examens à longueur de temps, et toutes ces nuits ou elle s'impose de dormir quatre heures pour passer le reste du temps à réviser. Pendant qu'elle me parle, je feuillette son carnet de liaison dont chaque page est marquée d'un slogan qui se veut percutant : "Le monde appartient à ceux qui se lèvent tot", ou "Si l'escalator du progrès est en panne, prenez les escaliers". Toutes les écoles du pays sont friandes de ce genre de maximes sensées édifier les troupes et les placardent partout. Leur répondent les phrases malicieuses plaquées sur les tee-shirts des ados : "Plus de devoirs ? Plus de soucis", ou la très populaire : "Je suis un être humain".</span><br />
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<span style="font-size: 13.5pt;"></span><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh-OadYHj2GgnX8rMzoEleOGsIZ69LvBXbX6F-v3TiJ0JmOh8eJjeU8UzM8FPH1Yvoj2zipHujYRZ_4WeTnZmVNK4j7oy_ItIEB5aTkSxUB1hu38Imvlf8IAu8NF-bJ-fShyphenhyphenXAqJAzvTPu5/s1600/DSCN1723.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh-OadYHj2GgnX8rMzoEleOGsIZ69LvBXbX6F-v3TiJ0JmOh8eJjeU8UzM8FPH1Yvoj2zipHujYRZ_4WeTnZmVNK4j7oy_ItIEB5aTkSxUB1hu38Imvlf8IAu8NF-bJ-fShyphenhyphenXAqJAzvTPu5/s320/DSCN1723.jpg" width="320" /></a></div><span style="font-size: 13.5pt;"><o:p></o:p></span></div></div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com13tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-2827640182506905912012-03-28T05:28:00.000+02:002012-03-28T05:28:49.045+02:00La force de l'inertie. Bundi, km 9510<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on"><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiPb62bpCZ47Edx5LMk2L3c_rqLTMDcxrJP5h95mjeMWINSDSZvmJfB9VxZ2SuAPIzjrG96wddc4jQryqD1yDaTm13MA6CUiFABgH1pY9E2EhjQ04_NcNnfvwSMNF1J8yvfNNiO0_BWKHG0/s1600/DSCN1658.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiPb62bpCZ47Edx5LMk2L3c_rqLTMDcxrJP5h95mjeMWINSDSZvmJfB9VxZ2SuAPIzjrG96wddc4jQryqD1yDaTm13MA6CUiFABgH1pY9E2EhjQ04_NcNnfvwSMNF1J8yvfNNiO0_BWKHG0/s320/DSCN1658.JPG" width="320" /></a></div><br />
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Et le revoilà, ce terrible sentiment de mélancolie que j'avais réussi à éloigner, ou qui s'était éloigné de lui-même, depuis quelques semaines. J'ai franchi les mille premiers kilomètres en Inde sans même m'en rendre compte. Mais je savais bien qu'il reviendrait, et le revoilà, ce doute, la revoici, cette irrépressible envie de rentrer qui n'en finit pas de s'imposer. C'est comme ça, ce voyage : cette alternance permanente de doutes et de certitudes, cette sensation qu'on va y aller, jusqu'à Shanghai, qui finit toujours par s'effacer devant celle que l'on n'y arrivera jamais, et puis qui finit toujours par revenir, malgré tout, et ce, parfois plusieurs fois dans la même heure. Comme c'est fatigant !<br />
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<div class="MsoNormal">Cette fois-ci, il est arrivé progressivement, au contact quotidien de ce pays fatigant, usant, au contact aussi de ces familles avec lesquelles j’avais toujours un peu de mal à vraiment partager. Plus je progresse vers le nord, et plus l’accueil qu’on me fait est étouffant. Je suis tous les jours élevée au rang de grande curiosité par tous ceux qui croisent ma route. Mes repas de midi tournent court : il faut bien peu de temps avant que quelqu’un ne me repère, assise contre un arbre, un livre dans une main et un paquet de biscuits dans l’autre, et ne s’approche, les yeux ronds. C’est le signal : que l’un s’arrête et je suis perdue. Aussitot tout le voisinage débarque, se poussant du coude, rigolant de ma mine. Il ne s’agit pas de me parler ici : juste de s’approcher le plus près de moi, de me fixer obstinément, de commenter le moindre de mes gestes puis, après s'être enhardi, de se rapprocher jusqu'à me prendre mon livre des mains, pour voir ce que je lis, ou à sortir les téléphones pour me tirer le portrait. Et si je refuse, c'est encore plus drole : pensez-donc, essayer de la prendre en photo sans qu'elle s'en rende compte ! Impossible de fuir : même sur les routes les plus désertes, il y a toujours quelqu'un surgi de nulle part pour rejouer la scène dès que je mets pied à terre. </div><div class="MsoNormal">Alors dans les villages, le soir, c'est bien pire. A chaque arrêt ce sont des dizaines de personnes qui m'entourent. On monte sur les voitures pour mieux me voir. Quand je demande un peu d'air, les plus autoritaires crient à la ronde : ''Allez, allez ! Y a rien à voir !''. Personne ne bouge. Et dans les maisons ou l'on me reçoit et ou je me refugie, je dois affronter avec plus ou moins de courage toute la soirée les hordes de ceux qui passent ''juste comme ça'', et qui éclatent de rire en me voyant, ravis de m'avoir trouvée, refusant de partir tant qu'ils n'auront pas au moins une photo de moi. Incapables de comprendre ma fatigue ou mon besoin de repos, ils me réveillent le soir pour une dernière photo avec les voisins retardataires.</div><div class="MsoNormal">Mon vélo n'échappe pas à la curiosité envahissante de ce peuple-enfant qui adore mais ne respecte pas. Et malgré toutes mes suppliques et mes explications, je sais bien qu'il suffit que j'aie le dos tourné pour qu'il soit inspecté sous toutes les coutures, les freins démontés, le dérailleur déréglé.</div><div class="MsoNormal"><br />
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Et ce matin, justement, ma chaine saute à chaque tour de pédale, alors qu'hier soir, tout allait parfaitement bien. C'est pas vrai ! Je tiens un kilomètre et puis j'explose, de colère et de frustration. D'un coup, tout dans ce pays me parait intolérable. Je laisse éclater la fureur qui grandissait depuis quelques jours, en d'énormes sanglots rageurs qui me secouent autant que cette fichue chaine qui vient me rappeler, à chaque tour, à quel point je ne supporte plus d'être là, à quel point je n'arrive pas à trouver d'échappatoire à ma détresse croissante. Les camions fous qui m'obligent avec insouciance à me jeter dans le fossé en prennent pour leur grade. Je pique une colère noire.<br />
Ca ne marche pas du tout.<br />
Parce qu'ici comme partout on se rassemble autour de moi en rigolant, curieux de voir ce qui va se passer. Une blanche qui, en plus, s'énerve ?! Ils auront gagné leur journée.<br />
L'Inde et moi, nous arrivons au point de rupture.<br />
Un peu plus tard sur la route, je m'arrête un instant, toujours en maugréant, pour regarder l'état de ma chaine. Quand je me redresse, une fillette est là, qui me regarde d'un air incroyable. Elle me tire la langue, ses yeux brillent de colère et je vois bien qu'elle ne sait pas, qu'elle ne connait pas de gestes assez obscènes pour exprimer toute la haine qu'elle a pour moi. Incapable de gérer la fureur qui la prend quand elle me voit. Ca me calme immédiatement. Je ne sais pas ce que je lui ai fait, mais qu'est-ce d'autre, ce petit démon en jupe plissée, qu'un miroir qui me renvoie l'image de ma propre colère, irraisonnée et excessive ?<br />
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Je me calme, oui, quelques jours, j'oublie, et puis soudain, c'est le court-circuit.<br />
Il aura fallu une journée de repos, que je me décide à m'accorder dans une petite ville tranquille et plutot touristique du Rajasthan. Une journée ou je décide de prendre un hotel, de me couper du monde le temps de récupérer moralement et physiquement de la fatigue qui s'est accumulée. Et une journée pendant laquelle, quelle coincidence, je me mets à tousser, un peu, puis de manière démesurée. Je grelotte, je transpire, je tombe lamentablement malade d'une bronchite par quarante degrés dehors. Mon corps regimbe et ne veut plus me porter. Il profite de la seule journée depuis longtemps ou je relache la pression pour me le signaler. Court-circuit total : sans avoir fait attention aux signes avant-coureurs, aux petites maladies qui se succèdent depuis quelques semaines, aux baisses de moral et aux accès de colère, je suis prise de court devant l'ampleur de la révolte. Je me sens fatiguée comme jamais. Exténuée, privée de moteur. Je me sens usée, usée jusqu'à la moelle, sans plus aucun rêve, sans plus aucune envie tangible. Même dormir, je n'y arrive plus. Et je me retrouve, allongée sur mon lit, fixant les pales immobiles du ventilateur, et me demandant dans un brouillard d'incertitudes : "Mais qu'est-ce que je fais là ?" <br />
Ces jours-ci, j'ai mille ans.<br />
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Parce que soudain je n'ai plus envie. Je n'ai plus envie de m'émerveiller chaque matin, je n'ai plus envie de garder les yeux grands ouverts écarquillés, toujours, je n'ai plus envie de tout ce partage et de toute cette gentillesse et de toutes ces couleurs non plus. Soudain je rejette tout, mon voyage et l'Inde dans le meme sac, je rejette tout ce que j'ai voulu découvrir, tout ce que j'ai déjà découvert, je rejette ce qui m'a poussé à partir. Je fais mine de ne plus m'en souvenir. Je rejette tout le chemin qu'il me reste à parcourir. Sans souvenirs et sans perspectives, ne reste plus que ce présent insipide de chambre d'hotel minable, ce bled ou je croupis en attendant... Mais en attendant quoi, au juste ?<br />
A chaque quinte de toux, c'est mon voyage que je veux expulser, c'est toute l'énergie que j'aie pu déployer ces neuf derniers mois que je veux oublier et laisser derrière moi, toute cette énergie qui m'insupporte parce qu'elle me parait si loin déjà, et, peut-être, si vaine, si inutile. Et à chaque plat qui se présente devant moi et dont mon appétit récalcitrant refuse de prendre la moindre part, c'est comme si c'était ce voyage tout entier qui m'écoeurait, ce voyage tout entier dont je ne pouvais plus avaler la moindre bouchée, saturée, nourrie jusqu'à plus faim au biberon de la découverte, de l'aventure et du dépaysement.<br />
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Guest-houses, terrasses sur le toit : la vieille-ville est le repaire des touristes. On reconnait les Francais au Guide du Routard qu'ils promènent sous le bras ou qu'ils laissent trainer sur la table du restaurant. Plutot facile pour faire des rencontres. Mais ces jours-ci, même cela, je n'y arrive plus, incapable d'assumer mon role d'aventurière du bout du monde qui met quelques rêves dans les têtes des routards à qui je parle. Si distante de mon aventure qu'à la raconter je me demande si c'est bien moi qui suis en train de la vivre. Fascinée par ceux qui seront à Paris la semaine prochaine.<br />
Clouée au sol, incapable de repartir.<br />
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</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com19tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-25207804915804196072012-03-19T16:59:00.001+01:002013-02-10T12:01:51.940+01:00Happy Holi ! Jahlawar, km 9300<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjsTvNEwQY2M3-4VMGIfQIDDs0_JkVlV5pdufAOUqhn_TPOgWSfHsDP55lOi4jXsjyy-EqhBRlCfm6lQPfZ04Z4GjTpis58eYsSTUYSAAYGY2uwhqA4S5lL3sqPICw5BKSVxQAjgPkp2Rao/s1600/Picture+002.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjsTvNEwQY2M3-4VMGIfQIDDs0_JkVlV5pdufAOUqhn_TPOgWSfHsDP55lOi4jXsjyy-EqhBRlCfm6lQPfZ04Z4GjTpis58eYsSTUYSAAYGY2uwhqA4S5lL3sqPICw5BKSVxQAjgPkp2Rao/s320/Picture+002.jpg" width="240" /></a></div>
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Les journées qui suivent mon départ de Jalgaon me voient, enfin, tomber malade. Neuf mois environ que je le redoutais ! Mais la chaleur, qui commence à se faire intense, l'usure du voyage, le régime alimentaire draconien que ces purs végétariens me font subir ont finalement raison de ma santé. Insolation et fièvre inexpliquée se relaient pour me faire passer quelques jours désagréables. Les journées passées au fond de mon lit sont forcément des journées de spleen et de mal du pays. Il est plus agréable d'être malade et dorloté chez soi que seul au bout du monde ! Ces jours-là, j'en viens à ruminer les aspects de ce pays qui me gênent le plus. Et d'abord cet amour de la hiérarchie et cette culture du service, ou bien de la servitude. Il n'y a rien qu'ils aiment tant. Chez les familles aisées, c'est flagrant. Elles s'entourent d'une armée de serviteurs, de "boys" à la peau toujours plus foncée, chargés de porter mes bagages, de faire le jardin ou d'apporter un verre d'eau au maitre des lieux. On me fera régulièrement des commentaires sur la difficulté qu'il y a des nos jours à trouver des domestiques qui ne soient pas fainéants, ou qui ne demandent pas trop d'argent. Cela n'est d'ailleurs pas propre aux familles aisées : la classe moyenne elle-aussi veut ses domestiques et exige qu'ils restent là du matin au soir, quitte à sacrifier toute notion d'intimité et de vie privée. Le fait d'être servi prime. Plaisir qui se combine toujours avec le plaisir de servir. Qu'un invité se présente et il est accueilli avec le plus d'empressemement possible. Le verre d'eau qui se tend n'est pas qu'un simple verre d'eau, mais un verre posé sur un plateau que l'on présente à l'invité avec un léger hochement de tête et dont on attend toujours, patiemment, qu'il soit fini avant de repartir avec, en cuisine.<br />
Les repas sont toujours particulièrement compliqués. Je ne mange bien souvent que toute seule, et toujours avant les autres membres de la famille. La portion qu'on me sert de riz, de lentilles et de légumes est toujours ridiculement petite, mais à présent je ne me laisse plus avoir : car je sais bien que sitot la dernière bouchée avalée, quelqu'un se précipitera pour me resservir, et toujours d'une ration trop petite, rien que pour le plaisir, dirait-on, d'avoir à me resservir à nouveau. Rien ne me crispe plus que ce léger froissement du rideau de la cuisine qui tente de se soulever le plus discrètement possible, que ce fugace coup d'oeil jeté à mon assiette pour vérifier que je ne manque de rien, tandis que personne ne me parle. Ce manque de spontanéité parfois, est pesant. Et il me faut en déployer, de l'énergie, pour réussir à dépasser ce statut d'étrangère, d'invitée, et réussir enfin à échanger, un peu plus simplement !<br />
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On m'avait prévenue, deux jours à peine après mon insolation, alors que je m'apprêtais à prendre la route : "Tu veux voyager le jour du festival de Holi ? Mais c'est très dangereux !". En enfourchant mon vélo, je m'étais dit que décidément, ce pays, c'était peut-être un peu trop pour moi. Car le jour de Holi, le grand jeu est de se lancer de la poudre colorée et des bombes à eau les uns sur les autres, et surtout d'en recevoir soi-même. C'est donc peu dire que, encore faiblarde, j'étais sur mes gardes en traversant les villages qui ne manquaient certainement pas de cacher, dans leurs ruelles adjacentes, des chenapans aux mains colorées. Et il est vrai que j'ai bien vu ce jour-là nombre de gamins hilares et colorés de la tête aux pieds, mais pas la folie que j'imaginais - et à laquelle il m'aurait fallu moi-aussi échapper. En réalité, c'est surtout parce qu'il ne s'agissait ici que de la première salve. Le vrai Holi allait de dérouler quelques jours plus tard - et ce jour-là, pas question pour moi de prendre la route.<br />
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C'est donc à Indore que je m'apprête à passer Holi. La veille au soir, une grande fête est organisée quelque part dans la ville pour commémorer le jour saint - car, aussi profane que paraisse les manifestations ce jour-là, Holi est d'abord un jour saint, ou l'on commémore la victoire du sacré - le bucher sur lequel brula la soeur d'un roi impie, et auquel survécut un fervent dévot. L'histoire est tragique et morbide à souhait - mais bon, à Holi, on ne s'en souvient pas trop. Et ce soir-là, justement, l'ambiance n'est pas aux lamentations, dans cette assemblée de messieurs en beaux costumes, de femmes en saris, et d'enfants galopant partout, au son de la musique beaucoup trop forte qu'un orchestre joue avec enthousiasme. Sur la scène, pour faire bonne mesure, deux petites filles immobiles et costumées figurent Shiva et Parvati. Les pauvres ne s'amuseront pas beaucoup de la soirée, figées dans la posture mythique des deux dieux. Pour le reste, la fête bat son plein. Tour à tour les femmes puis les hommes se lèvent et s'avancent au milieu de la fosse. Chez les femmes, qui tournent toutes en rond au rythme des tablas, la danse a quelque chose de sérieux et de consciencieux qui vient contraster avec leurs mines réjouies et leurs éclats de rire. Quand vient le tour des hommes, c'est la folie totale : on gesticule dans tous les sens, on s'embrasse et on hurle sa joie. Il n'y a pas d'autres mots : c'est une joie pure et sans bornes qu'ils laissent éclater. Pas une goutte d'alcool n'est servie, pourtant on se laisse aller avec bonheur aux plus complètes extravagances. Un mari à qui sa femme a laissé, le temps de chercher dans la foule leur petit garçon, son sac à main, devient instantanément l'objet des rires de la foule en liesse qui entreprend de le grimer en femme à grand renfort de maquillage et de couronnes de fleurs. Sa femme, revenue sur ces entrefaites, éclate de rire en découvrant le tableau et demande à être transformée en homme. Et aussitot le jeu s'étend, et tous les couples de l'assemblée, les messieurs aux beaux costumes et les femmes aux nobles saris, échangent leur role dans des gloussements incontrolables.<br />
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Et le lendemain ne vient pas tempérer les ardeurs. La journée commence pourtant tout à fait tranquillement. Tout au plus se barbouille-t-on un peu de poudre sur le visage en se souhaitant "happy holi", et l'on fait mine de ne pas trop prêter attention aux enfants qui s'aspergent copieusement dehors... Mais c'est un leurre. En vérité, la tension est palpable et tout le monde sursaute sans réussir à le cacher à chaque fois que la sommete retentit. Seul Tejas, le père, semble vraiment travailler, assis à son ordinateur. Enfin, sur les coups de midi, c'est l'explosion : la famille élargie débarque en frappant bruyamment à la porte, la mère de maison et sa fille, moitié hurlant, moitié riant, courent se réfugier dans la pièce du fond en prenant bien soin de claquer toutes les portes. Les mains couvertes de peinture, les nouveaux arrivants à qui on a fini par ouvrir se précipitent à l'intérieur dans un fracas indescriptible, en évitant tant bien que mal les meubles et les coins de murs de cet appartement décidément bien trop petit pour une telle débauche d'énergie... Du coup, la fête déborde dans le hall de l'immeuble. Splash ! La cage d'escalier. Splash ! La porte d'entrée. Tout est aspergé, repeint à la mode Holi, en de grosses taches roses et jaunes. A l'intérieur, l'appartement n'est plus qu'un champ de ruines multicolore, un chantier ou seul Tejas, toujours à son clavier mais peinturluré de la tête aux pieds, semble ne s'être rendu compte de rien. Les femmes, quant à elles, se débattent toujours, répétant à qui veut l'entendre que ça suffit, ravies en réalité de se retrouver ainsi barbouillées. Les bombes à eau commencent à pleuvoir tout autour de nous.Holi est assurément la fête rêvée des enfants du monde entier. Mais ce jour-là, dans ce hall d'immeuble, dans tous les halls d'immeuble de l'Inde tout entière, ce ne sont certes pas les enfants qui s'amusent le plus...<br />
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Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-83014660962428556242012-03-05T16:27:00.000+01:002012-03-24T14:08:57.544+01:00Jusque sous les ongles. Sendhwa, km 8800<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on"><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEipm_sO8ixoCZ-kGInc6vXCt_799NU5Q4s56RwYbU9VHPMEa2xJDP5if01v0VT3ABrzSjgs4M07Ga0hP2lKw65vqZe7xFnTDAfZ2NaQVn3LqvYGAcrJmvt1-ZWiqjcIFnFTknMZXh_m3e9w/s1600/DSCN1593.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEipm_sO8ixoCZ-kGInc6vXCt_799NU5Q4s56RwYbU9VHPMEa2xJDP5if01v0VT3ABrzSjgs4M07Ga0hP2lKw65vqZe7xFnTDAfZ2NaQVn3LqvYGAcrJmvt1-ZWiqjcIFnFTknMZXh_m3e9w/s320/DSCN1593.JPG" width="320" /></a></div><br />
Il y a quelque chose en Inde qui diffère vraiment des autres pays. On met un certain temps avant de comprendre ce que c'est, avant de mettre un mot sur cette force puissante et enivrante qui semble tout entier nous envelopper, sans jamais nous lacher. Et puis soudain on le remarque : l'Inde tout simplement est un pays plein - un pays entier, et même l'Iran et son raffinement à coté n'apparait que comme un espace imcomplet, ou comme un peuples qui n'a pas réussi, ou pas voulu, occuper totalement son territoire. En Inde c'est différent - en Inde, tout est saturé. Il n'y a jamais aucun répit pour aucun des sens, et les Indiens s'efforcent avec frénésie de remplir tout ce qui pourrait, à un moment ou à un autre, paraitre vide.<br />
Il n'y a qu'à voir la manière dont ils mangent, sans couverts : il ne s'agit pas ici de porter simplement la nourriture à sa bouche, non ; il s'agit auparavant de mélanger le riz au curry et de touiller, de malaxer longuement la mixture de sa main doite, avec une délectation, une sensualité dont ils ne se lassent jamais. Le toucher : un sens qu'on néglige tellement chez nous ! En Inde, il se rappelle à chaque repas. Quant au gout, c'est pire encore. On le sature au maximum. La cuisine que l'on me sert est d'une finesse incroyable mais ne serait pas complète sans une sévère dose de piment qui enflamme mes papilles et leur fait crier grace trois fois par jour. Eux ne comprennent pas ce que l'on peut trouver à la fadeur.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjTwkVcX8iHrNC7Iu58HxPqravz-Kz4JgQz2AEZGIK5g7yfafBEgbT34nMmhUW0kRdMIDT4vgQb423lp2MckJJ5jAY5XT4KlvRdJIksMYimcGMiNrw2l0zWAq7Yuh_pZpUKNRcOtqKaXV6x/s1600/DSCN1585.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjTwkVcX8iHrNC7Iu58HxPqravz-Kz4JgQz2AEZGIK5g7yfafBEgbT34nMmhUW0kRdMIDT4vgQb423lp2MckJJ5jAY5XT4KlvRdJIksMYimcGMiNrw2l0zWAq7Yuh_pZpUKNRcOtqKaXV6x/s320/DSCN1585.JPG" width="320" /></a></div><br />
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Mes trajets sur la route sont plutot tranquilles, tant que je ne traverse pas de villages : je repose mes yeux au contact des douces couleurs du paysage, mes oreilles à celui d'un silence relatif. Mais l'entrée dans un village m'entraine immédiatement dans un tourbillon sidérant de puissance : tous mes sens s'allument et s'alertent à la fois. La vue : tout à coup c'est le même arc-en-ciel criard qui vient remplir mes pupilles. Ces saris sont trop rouges, trop jaunes, trop verts ! Même la burqa de certaines femmes musulmanes, qui ne laisse apparaitre que leurs yeux, semble trop noire. Les fleurs sont partout, provocantes de profusion. Flamboyants et bougainvillées débordent et tant pis si les couleurs ne sont pas assorties ; ce qui compte, c'est que cela pète, tonne, que cela marque, quoi !<br />
L'odorat : difficile de décrire ce savant mélange de parfums qui saute immanquablement au nez dès que les premières baraques sont en vues, toujours à peu près le même, mais dont les subtiles variations différencient les villages qui s'égrènent... Un mélange de fumier et d'encens, de gaz d'échappement, de bétail et de noix de coco, qui me laisse toujours vaguement nauséeuse, une fois le village hors de vue.<br />
L'ouie : au contact des villages, les klaxons, du reste jamais totalement en berne, se réveillent et hurlent à qui mieux-mieux, au milieu du meuglement des vaches, de la litanie incessante des prières, des vendeurs a la criée - et des hurlements de joie des gamins qui ne manquent jamais lorsque l'un d'eux a repéré le drole de vélo tout chargé de bagages qui descend la grand rue...<br />
Si l'on rajoute à tout cela le trafic fou auquel il faut prêter une attention constante, les spectacles de rue et les scènes imprévues qui captent toujours mon regard, on comprend que je ressors de chaque village éreintée, aspirant à un peu de calme pour reposer mes sens avant le prochain assaut...<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcmFHehzEna4EdlOgcaeHBZP7qcSRmB5hfXlKT1WPXESBiVfzvskJYQd_XMNfmQPySdO7uinHGLeMdg0F89YSJ0yYn0lRuj0QV_OQYFGefj0r-eBleGvLy40tl_H_7UeVa9llvn1ipGfoS/s1600/DSCN1590.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcmFHehzEna4EdlOgcaeHBZP7qcSRmB5hfXlKT1WPXESBiVfzvskJYQd_XMNfmQPySdO7uinHGLeMdg0F89YSJ0yYn0lRuj0QV_OQYFGefj0r-eBleGvLy40tl_H_7UeVa9llvn1ipGfoS/s320/DSCN1590.JPG" width="320" /></a></div><br />
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C'est ça, l'Inde, ce pays si complet qu'il pénètre partout, s'infiltre jusque sous mes ongles - j'ai beau les frotter et les récurer, ils restent ici toujours noirs de crasse et de poussière, noirs d'Inde. Qu'il me fait éternuer sans raison à longueur de journée, qu'il me pique les yeux et me brule la langue, et qu'il me laisse à l'intérieur une drole de sensation, celle d'une ame qui au contact de ces sens réhaussés voudrait grandir, grandir grandir... Pour se mettre elle-aussi à hauteur.<br />
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Avant Aurangabad, je m'arrête deux jours pour rendre hommage à Shiva. Je n'arrive pas à savoir si la fête est nationale, si elle ne concerne que l'état du Maharashtra ou seulement ce petit village. C'est qu'il y en a tellement, des fêtes, et il y en a tellement, des dieux ! Je suis hébergée chez Arun, le médecin du village, et sa femme, petits vieux adorables qui m'emmènent chez le photographe pour une séance en bonne et due forme de laquelle ils me laissent un tirage. La démarche est jolie. Le lendemain, à la première heure, je vais avec lui sur les lieux du culte, à la confluence de deux rivieres sacrées qui coulent à quelques kilomètres de là. L'endroit est noir de monde, et les scooters qui trimballent toutes la famille peinent à se frayer un chemin parmi la foule des dévots. Alors nous, en voiture, nous n'avons aucune chance d'y arriver, et ce ne sont pas les coups de klaxons rageurs d'Arun qui changent grand chose à l'indifférence des gens autour de nous ! Nous rebroussons chemin, il faudra revenir dans l'après-midi. Nous nous rabattons pour l'heure sur un petit temple du village, dédié à Shiva et ouvert à la fête ce jour-là. Dans le minuscule édifice, une demi-douzaine de personnes sont rassemblées autour du lingam, l'emblême phallique vénéré du dieu. Un prêtre brahmane psalmodie des prières d'une voix monocorde, sans jamais s'arrêter. Deux hommes assis en tailleur versent sur le lingam une petite fiole d'eau, le plus doucement possible. Ils veillent à la remplir aussitot qu'elle est vide : il ne faut jamais qu'ils s'interrompent de verser, tant que le prêtre récite. A l'opposé du cercle, trois femmes assemblent avec minutie des fleurs coupées qu'elles déposent avec soin autour du lingam, selon une logique qui m'échappe. L'ensemble est pratiquement plongé dans la pénombre. Seules quelques bougies renvoient sur les murs en pierre leur omble tremblotante... C'est à peine s'ils remarquent mon intrusion. Je me plante dans un coin de la pièce, retenant mon souffle, ne comprenant rien à ces rituels et me laissant seulement bercer par la litanie et les effluves d'encens...<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhzTo40cNx1Qav7S2KyYZFxjAdiF6-xNl7K39Ee_m2I6DpsXr1XgI-dCN99oIUImadWhYozTod37wYmejBwL72lWwsg9lskqjr_5OXtmwZ7UQRbayg2s4DcXOmOpkVcZXU88-3lyyyH8wxV/s1600/DSCN1598.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhzTo40cNx1Qav7S2KyYZFxjAdiF6-xNl7K39Ee_m2I6DpsXr1XgI-dCN99oIUImadWhYozTod37wYmejBwL72lWwsg9lskqjr_5OXtmwZ7UQRbayg2s4DcXOmOpkVcZXU88-3lyyyH8wxV/s320/DSCN1598.jpg" width="320" /></a></div><br />
<span id="goog_1862469934"></span><span id="goog_1862469935"></span><br />
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L'après-midi, nous retournons sur les rives de la rivière. Toute la famille nous accompagne pour l'occasion. Il y a toujours une foule compacte sur les berges. Des enfants tous nus courent sur les ghats, ces grandes marches qui descendent jusqu'à l'eau, permettant aux pélerins de prendre leur bain dans les eaux pures et purifiantes de la rivière sacrée. La foule se presse aux différents temples disposés un peu partout autour de la confluence. Dans le plus imposant, il y a près d'une demi-heure d'attente pour pouvoir déposer ses offrandes devant le lingam sacré ! Mais le spectacle est aussi à l'extérieur, toujours dans l'enceinte du temple : c'est assez fascinant de voir les sadhus, ces vagabonds mystiques en turban et qui croisent souvent mon chemin le long des routes, prendre refuge sous les arcades du temple et y vivre pour quelques jours, juste à coté des devots venus prier seulement le temps de l'après-midi. A deux pas de la foule en liesse, ils sont là, certains dorment, d'autres mangent, et le peu qui leur sert de vêtements sèche à la vue de tous sur des fils à linge de fortune tendus entre deux piliers...<br />
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Mais la vraie attraction de l'après-midi, c'est la visite rendue au gourou. On peut voir des photos de celui-ci un peu partout dans les maisons ou dans les rues. Rattaché au plus grand temple de la zone, il est naturellement le gourou de tous les villages environnants. Sangita, la belle-fille d'Arun, m'explique : "Le gourou, ce n'est pas un prêtre ; c'est quelqu'un qui nous donne des conseils, qui nous montre la voie. Nous, on lui rend visite une fois par an environ, on vient lui demander sa bénediction, lui demander son avis sur les choix qu'on doit faire. C'est un peu comme notre père !". Pour l'instant, il faut différer la visite au gourou - il n'est pas à son poste, au grand dam de tous ceux qui se pressent, qui se marchent les uns sur les autres, qui se haussent sur la pointe des pieds. Quant a moi, je suis très curieuse de le voir, ce gourou pour qui certains viennent de fort loin !<br />
Je le verrai un peu plus tard dans l'après-midi : alors que nous sommes assis à l'ombre du temple, Arun nous appelle, ne tenant plus en place : ça y est ! le gourou est là ! Aux abords du tapis sur lequel il est assis, c'est la cohue : les gens se poussent et parlent tous en même temps. Nous nous frayons un chemin parmi la foule - l'autorité du médecin fait son effet ! Débouchant aux premières loges j'assiste médusée au spectacle d'un gros homme enturbanné, assis un peu lascivement sur une sorte d'estrade, tandis que les dévots qui ont réussi a s'approcher se bousculent pour lui baiser les pieds avec ferveur et déposer quelques billets dans les mains de ses acolytes. Lui baiser les pieds ! J'en suis à me demander s'il faut moi-aussi que je me plie en deux pour embrasser les petons du saint homme, quand le medecin lui hurle, pour se faire entendre, que je suis venue de France en vélo pour le voir. Rien que ça ! Cela n'a pas l'air d'étonner plus que ça le gourou, qui me regarde d'un oeil impavide, puis qui finit par fouiller dans la caisse en carton à coté de lui avant de me donner une noix de cajou en pendantif, sensée me protéger des démons. Ca tombe bien, l'oeil de Fatima que l'on m'avait offert en Turquie a rompu il y a à peine deux jours : les dieux semblent se relayer pour me protéger... Je reçois le cadeau sous l'oeil jaloux du public, tandis que la femme d'Arun me crie : "Remercie-le !! C'est un grand honneur !" avant de se jeter littéralement aux pieds du gourou et de l'embrasser avec dévotion. Je tente de faire deux ou trois namaste respectueux dans un chaos indescriptible, il me lance un sourire placide, puis nous laissons la place à d'autres. Je suis encore éberluée de ce spectacle impressionnant. Les imams d'Iran étaient morts depuis plusieurs siècles ; les gourous indiens sont vivants mais ne mouillent pas beaucoup plus la chemise... En Inde et en Iran en tout cas, le spectacle est le même, et la ferveur égale ; car, ici et là, ce qui compte, ce n'est peut-être pas tant qui l'on adore, mais simplement le fait d'adorer...<br />
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Je repars de cette journée de fête fatiguée mais émerveillée, avec une fois encore l'impression d'en avoir pris plein les sens. Quel pays ! Et c'est encore la grande magie de l'Inde que de m'offrir comme un cadeau, soixante kilomètres et autant de coups de klaxon plus loin, les grottes hindouistes et bouddhistes d'Ellora. Construites sur plusieurs siècles, au début de notre ère, elles recèlent des trésors de statues dont chacune d'elles raconte l'une des innombrables histoires de la mythologie hindoue et rend compte du foisonnement incroyable de cette Inde toujours en ébullition.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiCizM9lXsJ7BB9li0DWpJOgMeWb4wGKUx_RmZoX4k0GrA8uRcruHEz3WBtrfA-mpMmFvxAz3m2tNAlOM2T4BgTJFDfyejO9HjRXEoEg7mKpivvFNrioNigLVh3FHy9yUsXLk0NgBzdkGik/s1600/DSCN1603.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiCizM9lXsJ7BB9li0DWpJOgMeWb4wGKUx_RmZoX4k0GrA8uRcruHEz3WBtrfA-mpMmFvxAz3m2tNAlOM2T4BgTJFDfyejO9HjRXEoEg7mKpivvFNrioNigLVh3FHy9yUsXLk0NgBzdkGik/s320/DSCN1603.jpg" width="240" /></a></div><br />
Et c'est une plus grande magie encore de l'Inde que d'offrir, sur ce même lieu, dans l'une de ces grottes sombres et fraiches, batie comme une cathédrale, ou soudain, en entrant, l'on n'entend plus rien que le bruit de sa propre respiration, un bouddha d'une simplicité si pure et si dépouillée que, habituée depuis quelques semaines a cet enivrement constant des sens, a cette folie incessante, je reste plantée longuement devant lui, sans pouvoir détacher mes yeux, sonnée.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhbZdilKMco_VGXEnW9hb4ScezwUZ-Mv6nsNsFRTyWd9GvmgT3zjH_AMk9scIdFwKRpV6eAYptNuARxPD2WUplLpEh83rGrFNrHliXPV4brygVSuWs9CYkwbVWr2o6-G7KFf5KnAkLTyPXf/s1600/DSCN1606.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhbZdilKMco_VGXEnW9hb4ScezwUZ-Mv6nsNsFRTyWd9GvmgT3zjH_AMk9scIdFwKRpV6eAYptNuARxPD2WUplLpEh83rGrFNrHliXPV4brygVSuWs9CYkwbVWr2o6-G7KFf5KnAkLTyPXf/s320/DSCN1606.jpg" width="240" /></a></div><br />
</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-9680284559082897242012-02-22T14:29:00.000+01:002012-03-24T14:08:57.544+01:00Au pays du rituel. Aurangabad, km 8450<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on"><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj5bu5xs-9NCXuWNq1Ay7tpM2PK-TdWyd-vyUeaqXxh1Or8KEEBvk9HTBZNd_55W3woKn527bATAm1Mb355k14RepAUYrFQgvo9Rij59a3soCTvC7qsrrYnIsbIdAFGw6dsEJN41MHmzmcB/s1600/Picture+007.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj5bu5xs-9NCXuWNq1Ay7tpM2PK-TdWyd-vyUeaqXxh1Or8KEEBvk9HTBZNd_55W3woKn527bATAm1Mb355k14RepAUYrFQgvo9Rij59a3soCTvC7qsrrYnIsbIdAFGw6dsEJN41MHmzmcB/s320/Picture+007.jpg" width="240" /></a></div><br />
Mon voyage prend une drole de tournure ces derniers temps et avec l'accélération qu'entraine inévitablement l'avion, je ne sais plus trop ou donner de la tête. Après Dubai, me voilà projetée pendant près d'une semaine dans l'univers étrange mais finalement plutot plaisant d'une bande de Francais venus faire du yoga sous les tropiques. Avant de partir à la conquête de l'Inde, ou que l'Inde ne vienne me conquérir, je me plais à les cotoyer pendant ces quelques jours, à me reconnaitre en eux, bonne francaise que je suis, à partager des conversations anodines mais si précieuses pour moi, et même, peut-être, à retrouver dans leurs questions sur mon périple et les commentaires qu'ils peuvent en faire, les raisons qui m'ont poussée à partir. On a si vite fait de les oublier, quand on est seul depuis si longtemps !<br />
Et puis, surtout, quelle joie de partager cette semaine avec Nelly et Marie, de retrouver le bonheur d'être ensemble, un thé aux épices à portée de main et l'océan jamais bien loin ! Cette petite semaine avec elles ne m'apprend pas grand chose de l'Inde, mais entre l'Iran et les trois prochains mois dans ce pays qui m'impressionne depuis le début, elle constitue une parenthèse nécessaire, vitale, pour la suite de mon voyage. Et au moment de repartir, je me sens pleine d'energie, le moral au plus haut.<br />
Il faut bien peu de temps avant que la route ne quitte le bord de mer et ne se mette à vallonner puis à monter carrément : ce sont les ghats, ces petites montagnes cotieres qui bordent l'immense plateau péninsulaire. La route, étroite au possible est encore bien luxuriante et la végétation, touffue, m'offre des coins d'ombre salutaires. Soudain, j'aperçois une silhouette à la sortie d'un virage : oh, oh, un singe... Pas un, mais une dizaine de singes silencieux qui ont investi la route déserte et qui se dirigent lentement vers moi. Je ne suis pas des plus rassurées : tous me fixent, d'un regard énigmatique que je suis tentée d'interpréter comme perfide... Il faut me voir avancer,essayant d'éviter tout geste brusque, un gros bout de bois brandi au-dessus de ma tête, le vélo dans l'autre main, ne sachant pas trop s'il faut croiser leur regard ou pas... J'essaie de paraitre imposante mais je n'en mène pas large ! Finalement, ils me regardent passer en silence sans chercher à mal. Et un énorme camion arrivant dans l'autre sens à toutes berzingues, klaxon hurlant, a tot fait de les renvoyer dans leurs arbres !<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi09wKA67JfqTV-BmWz-dk_-hOu5lBvL5zXTYtw8Kl3SvHsIfoVNb4A1GahiCdRtD0wtTqGdjCKSEkexMCj4i3kSHKDYDO1uKhRAurI7x7YF49-HCI5K7ibZiOYXMPQr29Q-NEiTgSHxybW/s1600/Picture+001.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi09wKA67JfqTV-BmWz-dk_-hOu5lBvL5zXTYtw8Kl3SvHsIfoVNb4A1GahiCdRtD0wtTqGdjCKSEkexMCj4i3kSHKDYDO1uKhRAurI7x7YF49-HCI5K7ibZiOYXMPQr29Q-NEiTgSHxybW/s320/Picture+001.jpg" width="320" /></a></div><br />
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Une petite poignée de kilomètres plus loin, ça y est, je suis sur le plateau. La végétation a changé, l'horizon se dégage. Sous mes yeux s'étalent tous les verts de la création, entre rizières et plantations de cannes à sucre. A l'horizon, quelques monts jaunes ou bruns posés là comme en pleine mer viennent mettre un peu de relief. Quelque chose me frappe dans ce paysage mais j'ai du mal à savoir ce que c'est ; je ne me lasse pas de l'observer sans comprendre pourquoi il me fascine tant. Soudain ça y est ; ces couleurs... Je crois bien ne les avoir jamais vues avant. Ce n'est ni vraiment du vert, ni vraiment du brun, ni vraiment du jaune, mais autre chose, comme si l'on avait posé sur ce paysage un papier calque adoucissant tout, en même temps que l'on avait braqué dessus une lumière crue révélant les moindres details. Cette douceur et cette netteté conjuguées me subjuguent, comme si je voyais le monde pour la première fois.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEivsLTdZx3rqz0VWBgsK4wkxwNEs2sUFQQsmtDv6lrlfNbXSEWJQtJ00WKlNM3O9iEqmR6d9r-AKSnyMan_taGooZUHc2k11lFtDiv7YzHtlz48GSzoMYjMeiKX1k7yiPLmKoryOCTQlHpL/s1600/Picture+003.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEivsLTdZx3rqz0VWBgsK4wkxwNEs2sUFQQsmtDv6lrlfNbXSEWJQtJ00WKlNM3O9iEqmR6d9r-AKSnyMan_taGooZUHc2k11lFtDiv7YzHtlz48GSzoMYjMeiKX1k7yiPLmKoryOCTQlHpL/s320/Picture+003.jpg" width="320" /></a></div><br />
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Quelques kilomètres avant Kolhapur, le dérailleur changé en urgence en Iran lache à nouveau. Le vendeur m'avait fièrement précisé qu'il était "made in Taiwan", gage selon lui d'une qualité indéfectible ! Tout est relatif, et il est temps que j'arrive a Aurangabad, ou mes parents doivent m'avoir envoyé en poste restante un bon vieux dérailleur Made in Germany à qui j'accorderai beaucoup plus facilement ma confiance... En attendant, je n'ai pas d'autre choix, pour la troisième fois en trois cents kilomètres, que de m'arrêter faire réparer.<br />
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Kolhapur est une ville indienne comme on se les imagine, avec sa démographie anarchique, ses habitants qui débordent sur les trottoirs et jusque sur la chaussée, au mépris des rickshaws qui font tout de même savoir qu'ils existent à grand renfort de klaxons. Ses couleurs incroyables et violentes à l'extrême, le violet vif des saris, le rose flushia des fleurs, le jaune des temples. Et ses effluves ennivrantes, assomantes presque, cet encens et ces épices omniprésents qui font tourner ma tête et me font éternuer à tout bout de champ. Bienvenue en Inde ! Mon vélo et moi faisons bien pale figure à coté, tous perdus que nous sommes parmi les vaches sacrées. Mais il ne faut pas bien longtemps avant que mon air un peu déboussolé n'attire la compassion... Et Kavita me tape sur l'épaule, demandant de sa grosse voix qui roule les r et écrase les voyelles : "Arrrre you looost ? Do you need soooome help ?". Un simple petit "yes", timidement prononcé, déclenche toute une suite de réactions en chaine. Kavita et sa soeur Annu arrêtent un rickshaw en se jetant presque sous ses roues, négociant le prix de la course, chargeant - qui l'aurait cru possible ? - mon vélo dans la minuscule cabine arrière, m'y font asseoir et font de même, chacune d'un coté, me souriant l'une et l'autre à pleines dents et me parlant toutes les deux en même temps, l'une terminant les phrases de l'autre. J'en ai le tournis, mais les deux soeurs sont terriblement efficaces : mon vélo est réparé sans attendre, et moi, invitée à prendre le déjeuner chez elles. J'y resterai deux jours.<br />
Kavita et Annu ont appris l'anglais au lycée. Elles le parlent très bien, mais il ne leur sert pas à grand chose : depuis qu'elles ont fini l'ecole, elles travaillent dans le petit restaurant que tient leur mère - leur père, malade, est allité toute la journée. "Restaurant" est un bien grand mot ; même "gargotte" parait un peu trop pompeux pour l'espace que la famille occupe entre deux maisons - une petite allée que l'on a recouverte d'un toit en tole et à l'entrée de laquelle on a apposé une grande pancarte signalant qu'ici, l'on peut manger. Pendant la journée, l'espace sert de maison ; des petites cloisons figurent habilement les differentes pièces. Mais à partir de 18h, branle-bas de combat ! On déménage tout, on réagence le plus rapidement possible, et par un tour de passe-passe, la maison devient une cantine modeste ou une dizaine de clients peut tenir. La cuisine est un peu juste pour préparer tant de repas différents : la chambre du fond dont on a nettoyé le sol pour l'occasion sert d'antichambre aux préparations culinaires d'Annu, pendant que son père ronfle, étendu sur une natte à coté d'elle. Il faut dire que c'est le seul endroit ou il peut esperer se reposer un peu, la télé hurlante et les clients gouailleurs revendiquant bruyamment leurs droits.<br />
Le cadre est un peu triste et l'hygiène inexistante, pourtant on se presse et tous les soirs le boui-boui affiche complet. Peut-être est-ce du à la famille de Kavita et d'Annu, leur père, tout en moustaches à qui l'on surprend de temps à autres un sourire, leur mère toute frêle et toute petite qui se tord de rire devant Tom et Jerry, leurs deux frères costauds et timides, et la petite Saakshi, petite danseuse de dix ans, la fille d'on ne sait plus trop qui, tant elle passe tout son temps libre ici, virevoltant parmi les légumes et les carafes d'eau.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiaG2JT51IjqH_y9Awy8TDDJzOCEB8Rb8IIt2u2kfy3l2Y9OA6an7dEHF9jY_nJJNRI7-iURgOrnFs1D-FS6PLvujzwgIDFdxx8vDX1k7CJFyig07DyDlmCGLjSxGyE62zuWVbHvwzZmAF6/s1600/Picture+004.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiaG2JT51IjqH_y9Awy8TDDJzOCEB8Rb8IIt2u2kfy3l2Y9OA6an7dEHF9jY_nJJNRI7-iURgOrnFs1D-FS6PLvujzwgIDFdxx8vDX1k7CJFyig07DyDlmCGLjSxGyE62zuWVbHvwzZmAF6/s320/Picture+004.jpg" width="320" /></a></div><br />
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Une fois le dernier client parti, la petite ruelle peut redevenir une maison et retrouver sa quiétude. Comme tous les soirs, on lave tout de fond en comble pour effacer le souvenir du restaurant et le parfum de la viande qu'on a coupée à même le col. On installe les moustiquaires par-dessus les tables - car les tables du restaurant, une fois les clients rentrés chez eux, deviennent des lits sur lesquels se serre toute la famille. Kavita profite du calme revenu pour décorer mes mains au henné - point par point, détail par détail, sous l'oeil sérieux de Saakshi qui apprend.<br />
Enfin, une dernière prière avant d'aller se coucher.Quel cérémoniel ! Kavita remplit de fleurs jaunes et oranges un petit bol en bois. Une fois celui-ci plein à ras-bord, elle le pose sur un guéridon et va cueillir dans le petit autel de la maison Ganesh le dieu-éléphant, petite statuette pas beaucoup plus grosse que nos soldats de plomb, toute dorée, qu'elle dépose immédiatement sur les fleurs coupées comme elle coucherait une poupée dans un petit lit. Elle allume à ses cotés quelques batons d'encens, deux ou trois bougies, appelle enfin toute la famille. On pose sur le front de Ganesh quelques points de poudre colorée, et la prière commence. On la chante en tapant dans les mains, l'air concentré, s'interrompant de temps en temps pour rappeler à l'ordre Saakshi qui court partout. Une fois la prière finie, on replace Ganesh dans sa petite maison, à coté des autres dieux miniatures ; on le réveillera le lendemain.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEitgkfbdtfys7bGrPCFTCXE8RU6Jv5gUaqM4AdLkLMPlT85XVDW6b48YpBt5B3-6OBnIZbOuPfV9DByQCjEGcsFZgb16xn8pYnEgO2qh-Gyx_wzvLeC6kbMXBUsWUL6XnA1Y3sziSSaONIc/s1600/Picture+002.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEitgkfbdtfys7bGrPCFTCXE8RU6Jv5gUaqM4AdLkLMPlT85XVDW6b48YpBt5B3-6OBnIZbOuPfV9DByQCjEGcsFZgb16xn8pYnEgO2qh-Gyx_wzvLeC6kbMXBUsWUL6XnA1Y3sziSSaONIc/s320/Picture+002.jpg" width="240" /></a></div><br />
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C'est qu'en Inde Dieu est partout, et comme il est impossible de le représenter sous sa forme absolue, on utilise tous ces petits avatars. Dans chaque maison on n'a de cesse de me présenter avec un mélange de fierté et d'affection les dieux-statuettes qui ornent l'autel familial. Ils sont parfois si nombreux que les rituels matinaux, perpetrés par le chef de famille, prennent pas loin d'une heure. C'est qu'il faut les réveiller, tous ces dieux, chaque matin les faire entrer dans les petites statuettes avant de les révérer comme il se doit. Et s'il n'y avait que les dieux ! Mais l'on adore aussi le soleil et la lune et toutes les rivières sacrées - et l'on se prosterne chaque matin aussi bien devant Ganesh que devant une vasque qui renferme un peu de l'eau du Gange...<br />
Dieu est partout et pour les Hindous cela n'est pas peu dire. L'on répond toujours de la même manière à mes demandes d'explication concernant les divers spectacles insolites auxquels j'assiste sans cesse en Inde. Une procession de femmes au front couvert de poudre safran ? "C'est Dieu", me répond-on. Un homme jouant du tambour dans les rues à la nuit tombante ? " C'est Dieu", m'assure-t-on. Trois femmes qui hurlent en le suivant ? "Toujours Dieu", affirme-t-on. Et toutes ces personnes que je vois ce matin-là, un sourire béat aux lèvres, peinturlurées en rose des pieds à la tête, vêtements compris, comme si on leur avait jeté un grand pot de peinture dessus, c'est Dieu aussi, je présume ? "Ah, non ! Ca... C'est les élections". Au pays du rituel, les lendemains d'élections locales prennent eux-aussi des allures de cérémonies sacrées ou les heureux votants s'aspergent mutuellement des couleurs du vainqueur. Mais avec un tel serieux, une telle minutie, que cela aussi, on le croirait sacré. <br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEimbIy0fq7Xc81C1ZCRQCiQ9CwNmzZRpL8Z90j7T5XWvkk6aSSQ7mr-EYEnNbpWr_LBWJzFi6YhvCgTnz7eAo4hCI7K0yUKdpP2l5-pNlpgVVq7xog_GmtdUkTV_L1VpaSiGj8p_ow5cWtY/s1600/Picture+008.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEimbIy0fq7Xc81C1ZCRQCiQ9CwNmzZRpL8Z90j7T5XWvkk6aSSQ7mr-EYEnNbpWr_LBWJzFi6YhvCgTnz7eAo4hCI7K0yUKdpP2l5-pNlpgVVq7xog_GmtdUkTV_L1VpaSiGj8p_ow5cWtY/s320/Picture+008.jpg" width="240" /></a></div><br />
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</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com11tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-32668451612777870442012-02-10T14:44:00.002+01:002012-03-24T14:09:21.427+01:00Parenthese apocalyptique. Kholapur, km 8000<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on"><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh5-xXoCfjmjOJ48ynSRTMKhjSm3OvRhmkTT3vY2nk8HBbNbK625wUJKH-dh0eRTKWC1hmuwKAX34PhYayaPW9ZyyneqAO_uj75IikDx3kiDFJTYxDUvIx4Viu2hbCUTkBfy4JdbwtOQBgZ/s1600/Picture+004.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh5-xXoCfjmjOJ48ynSRTMKhjSm3OvRhmkTT3vY2nk8HBbNbK625wUJKH-dh0eRTKWC1hmuwKAX34PhYayaPW9ZyyneqAO_uj75IikDx3kiDFJTYxDUvIx4Viu2hbCUTkBfy4JdbwtOQBgZ/s320/Picture+004.jpg" width="240" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgWFdYlT-mAvHYJrR_u63ouItY-ePshs3FcT8Z2IPflK48lKup2qepLRZlSd3G5MmDukZzfEVHIDZ4jkvS9JGSXlcyI34wqRbUW2jUpJ8hW9VJKkKEaQKJbWz5zFLxIskoPZg1sk5_Gr8YK/s1600/Picture+001.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><br />
</a></div><br />
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Mon départ d'Iran est un peu précipité. Après Shiraz, je collectionne les déboires mécaniques. Le vent fait de nouveau des siennes et les dernières cotes iraniennes sont rudes. Sans que j'y prenne garde, la fatigue devient soudain accablante, irresistible. Je cale sur la dernière part de désert (bon, d'accord, elle était facile). Il me faut une pause, une pause réconfortante. Et justement, à Goa, en Inde, mon amie Nelly et son amie Marie m'attendent. Et soudain, j'ai besoin de les voir, d'urgence. A Bandar-Abbas, derniere ville d'Iran sur le golfe persique, je mets tout en oeuvre pour trouver un bateau au plus vite. C'est beaucoup trop long, beaucoup trop compliqué. Alors je prends une grande inspiration et j'accepte que mon voyage s'accélère un peu. Un avion est réservé le soir même pour Dubai, un autre m'emmènera le lendemain à Goa. Je savais depuis le début que je ne pouvais pas arriver en Inde par voie terrestre - le Pakistan me refuse son visa. Mais en avion ! A peine le temps de réaliser, et je suis en route pour l'aéroport. Ma phobie de l'avion me prend viscéralement, en même temps que mon empressement à essayer de ne rien perdre de mes dernières minutes en Iran. Dans un voyage comme celui-ci, on est toujours obligés de regarder en avant. Devant, c'est l'Inde, Nelly et Marie. Et plus rien ne me retient ici... Plus rien que le souvenir de ces deux mois passés dans un pays dont je ne soupçonnais ni la grandeur ni la force des émotions qu'il allait me procurer. Et je m'en veux sur la route qui me mène à l'aéroport ce soir-la, je m'en veux d'être à ce point parasitée par ma peur de l'avion et de ne pas réussir à penser à l'Iran de toutes mes forces, l'Iran et ses martyres, l'Iran et ses poètes, l'Iran de Rahim et Maryam et Ruhollah et Sareh, le premier pays que j'ai aimé passionnément, malgré tout.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgWFdYlT-mAvHYJrR_u63ouItY-ePshs3FcT8Z2IPflK48lKup2qepLRZlSd3G5MmDukZzfEVHIDZ4jkvS9JGSXlcyI34wqRbUW2jUpJ8hW9VJKkKEaQKJbWz5zFLxIskoPZg1sk5_Gr8YK/s1600/Picture+001.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgWFdYlT-mAvHYJrR_u63ouItY-ePshs3FcT8Z2IPflK48lKup2qepLRZlSd3G5MmDukZzfEVHIDZ4jkvS9JGSXlcyI34wqRbUW2jUpJ8hW9VJKkKEaQKJbWz5zFLxIskoPZg1sk5_Gr8YK/s320/Picture+001.jpg" width="320" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh5-xXoCfjmjOJ48ynSRTMKhjSm3OvRhmkTT3vY2nk8HBbNbK625wUJKH-dh0eRTKWC1hmuwKAX34PhYayaPW9ZyyneqAO_uj75IikDx3kiDFJTYxDUvIx4Viu2hbCUTkBfy4JdbwtOQBgZ/s1600/Picture+004.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><br />
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Difficile de faire rentrer mon vélo dans un si petit avion. Je pleure de trouille sur la piste au moment d'embarquer, et je manque bien faire demi-tour. Un sursaut me pousse à l'interieur de l'appareil, ou l'on n'est pas plus d'une cinquantaine. Mes sanglots d'angoisse provoquent immédiatement les rumeurs les plus folles (j'entends dire jusqu'au fond de l'avion que je suis dans un tel état parce que mon père vient de mourir...) puis les rires et la sympathie de mes voisins lorsque l'on finit enfin par comprendre que j'ai peur, tout simplement. Les mamies iraniennes se relaient pour me donner de petites claques sur les joues, et l'hotesse fait jouer ses relations pour me faire visiter le cockpit pendant le vol - oui, comme pour les petits enfants...<br />
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De Bandar-Abbas à Dubai, il n'y a qu'un golfe à traverser. En avion, cela se fait en une demi-heure, une bagatelle. Mais pour moi, habituée depuis des mois à voir changer le monde en douceur sous mes roues, c'est un choc que j'ai du mal à encaisser. Difficile de trouver plus violent que le contraste entre la campagne iranienne ou j'ai dormi la veille et la ville ultra-moderne que l'on peut distinguer quelques minutes avant que l'avion se pose sur la piste. Pour accentuer encore le contraste, je suis accueillie ce soir par Alexandre, ingénieur français expatrié depuis trois ans aux Emirats et qui me reçoit dans la confortable suite d'hotel que lui octroie la compagnie qui l'emploie ici.<br />
Arriver à Dubai de nuit a quelque chose qui relève de l'hallucination, avec ces visions fugitives en forme de flash, ces gratte-ciel qui montent si haut qu'on n'en voit pas le sommet, ces lumières à outrance à peine voilées par une légère brume, et ce silence, ce silence assourdissant sur la quatre-voies ou l'on n'entend de temps en temps que le bruit des moteurs des voitures de luxe qui nous dépassent. L'Iran ne m'avait pourtant pas deshabituée au silence. Il y a du silence dans le désert, un vrai silence troublé uniquement par les antiques camions que l'on entend venir de loin. Mais le silence de Dubai la nuit - ce silence ouaté et climatisé, ce silence futuriste qui n'a rien de naturel ni d'humain - ce silence me prend aux tripes et à la gorge tandis que continue la valse des villas et des palaces, la ronde des néons colorés et des tours de verre, sublimes et glacantes.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh7hMZLlai9XCXFZFLoE6vILJh4O3XOH4wXMHkTLPJm3q7fd-V5r1lBQVRZVT0ewF0PF9p4QI-SQWvIxU6TQrJjC8JHHrgpqth6MqXLjd5BgflvSKThR3et-9NFQxLlijM6ya5dER2XCmkD/s1600/Picture+005.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh7hMZLlai9XCXFZFLoE6vILJh4O3XOH4wXMHkTLPJm3q7fd-V5r1lBQVRZVT0ewF0PF9p4QI-SQWvIxU6TQrJjC8JHHrgpqth6MqXLjd5BgflvSKThR3et-9NFQxLlijM6ya5dER2XCmkD/s320/Picture+005.jpg" width="320" /></a></div><br />
Alexandre m'accueille avec une gentillesse tout à fait reposante. Nous allons boire une bière au café d'un palace ou l'on paie sa nuit un millier d'euros - on ne se refuse rien. Une bière ! Depuis le temps que j'en rêvais ! En Iran bien sur l'alcool est proscrit. Aux Emirats, pays non moins religieux, il est proscrit aussi. Mais ici, comme pour tout le reste, on s'en arrange... Je passe à Dubai la nuit la plus confortable de mon voyage, les lumieres scintillant encore à travers mes yeux fermés, malgré l'obscurité totale de la chambre d'hotel - ça aussi, j'avais oublié ce que c'était.<br />
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Il existe aux Emirats quelque chose d'au moins aussi fascinant que toute cette débauche de luxe et ces tours de verre dont on ne sait plus vraiment trop, à les voir ainsi érigées les unes à coté des autres, presque les unes sur les autres, si elles se subliment ou si elles s'annulent entre elles. Cet autre aspect de Dubai, les coulisses du luxe, sa face cachée, c'est tout ce que l'on peut tirer de la terre à quelques dizaines de kilomètres à peine des piscines sur les toits - du pétrole, du gaz, des métaux de toute sorte que l'on puise directement d'une terre saignée à blanc par des moyens toujours plus vertigineux. Alexandre, lui, travaille pour une compagnie qui s'occupe d'aluminium ; pas d'extraction, certes, mais tout de même : rien ne me rejouit plus que de l'accompagner sur son chantier, cet après-midi. Il ne faut pas rouler longtemps pour laisser derrière nous les fastes de Dubai et pour se retrouver, empruntant une autoroute flambant neuve, presque en plein désert. Le chantier n'en finit pas d'arriver, avec toutes les précautions de sécurité d'usage qui donnent à l'ensemble une atmosphère encore plus secrète et excitante. Ici l'ambiance est masculine, des hommes au visage couvert pour se protéger des rudesses du desert. On ne travaille pas aujourd'hui, et nous cheminons sans croiser grand monde, masques chirurgicaux sur la bouche, lunettes de protection aux yeux, gants et chaussures de sécurité.<br />
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Rien de commun avec ce que j'ai vu de Dubai jusqu'à present, et pourtant j'en reste bouche bée. Je me sens aussi petite devant ces machines démesurées que devant les buildings de la ville. Le tout est aussi monstrueusement vertigineux. Le chantier s'étend à perte de vue : partout des engins, des cuves, des échaffaudages. Cela n'en finit pas et pour la première fois je prends conscience de l'énergie impensable qu'il a fallu deployer ; des moyens financiers qu'il a fallu mettre en oeuvre, du nombre de machines qu'il a fallu penser, convevoir, faire fonctionner. Les chiffres que m'énonce Alexandre ne font que rajouter à mon vertige. Ces chiffres, ils sont trop hauts, je ne les comprends plus.<br />
Cette incroyable puissance de l'énergie humaine me fascine depuis le debut de mon voyage. Je suis intriguée depuis des mois par l'énergie que l'on peut déployer pour rendre gloire à Dieu, ou au roi, et que j'ai retrouvées dans les mosquées turques ou dans les ruines de Persepolis. Mais ici ! Je repense à ma fascination pour Mashhad et pour son gigantisme, à la difficulté que j'ai eue à comprendre que l'on puisse construire tout cela pour Dieu. Et ce chantier, cet unique chantier, doit être trois fois plus grand...<br />
Ce qui me fascine ici, comme à Dubai, ce n'est pas tant que toute cette energie soit mise en oeuvre pour le dieu Profit - Mashhad elle-même fait bien son beurre sur le dos de l'Imam Reza - mais bien cette démesure ahurissante, ce gigantisme inquiétant. Je repars de Dubai le soir-même, après un dernier tour en voiture des hotels qui collectionnent les records - l'hotel le plus haut du monde, le seul hotel 7 etoiles de la planète... Avec la sensation d'avoir durant ces vingt-quatre heures imprévues assisté à quelque chose, à une partie du monde tel qu'il est en train de se faire - et, peut-être, à la partie finale. Comment aller au-delà ? Juste avant de me déposer à l'aéroport, Alexandre me montre du doigt son immeuble préféré à Dubai : une tour massive et écrasante, presque fortifiée à sa base, façon Metropolis. "Tu ne trouves pas qu'elle a un petit coté fin du monde ?"<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgWFdYlT-mAvHYJrR_u63ouItY-ePshs3FcT8Z2IPflK48lKup2qepLRZlSd3G5MmDukZzfEVHIDZ4jkvS9JGSXlcyI34wqRbUW2jUpJ8hW9VJKkKEaQKJbWz5zFLxIskoPZg1sk5_Gr8YK/s1600/Picture+001.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><br />
</a></div>Si. C'est tout à fait cela.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhqFZAJZ_ScM8maxCTs4OR5YzQRb52eFMeGqGlVI8LHhTKUuGuCIhI_1Wb7qdgKvuUOgrqqgInDRo0Zq2YUO7R4vschTyzg_tyvM7VPtMwuV-jU3bjoy7vnNWLquJrFFYfxOK5OSEBdc4WU/s1600/Picture+002.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhqFZAJZ_ScM8maxCTs4OR5YzQRb52eFMeGqGlVI8LHhTKUuGuCIhI_1Wb7qdgKvuUOgrqqgInDRo0Zq2YUO7R4vschTyzg_tyvM7VPtMwuV-jU3bjoy7vnNWLquJrFFYfxOK5OSEBdc4WU/s320/Picture+002.jpg" width="320" /></a></div><br />
</div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-42879037833354815132012-01-27T22:42:00.002+01:002012-03-24T14:09:45.274+01:00Jeunesse iranienne. Lâr, km 7800<div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Je ne suis pas ménagée à la sortie d'Esfahan. Le vent et le sable, la pluie, la police même, se succèdent avec une précision parfaite pour me faire perdre tous mes moyens. Images d'apocalypse que ces milliers de grains de sables balayés par un vent terrible qui viennent me heurter de plein fouet, faire tomber mon vélo, m'empêcher d'avancer. Dégoût total de cette pluie glacée, d'autant plus insolite et injuste dans ce paysage aride, qui n'en finit pas de tomber, moqueuse et vicieuse.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 12pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Enfin, j'arrive à Shiraz. Je ne sais qu'une chose : on doit venir me récupérer sur la route pour m'emmener dans la maison qui m'héberge. Je roule un peu à l'aveuglette, quand enfin une voiture s'arrête devant moi. La fille qui en sort me fait instantanément sourire : son écharpe grise négligemment jetée sur ses cheveux glisse jusque sur son cou. Ses énormes lunettes de soleil et son manteau au ras des fesses viennent compléter le tableau. Sareh me tend la main et me salue avec un drôle d'accent américain : elle a vécu cinq ans près de Chicago quand elle était encore gamine, pour que son père finisse son doctorat. Et puis ils sont retournés à Shiraz. "Mais alors il faudra que tu lui demandes pourquoi ! On n'a jamais compris. Je crois qu'il ne supportait pas d'être aussi loin de sa famille. Et d'être aussi loin de l'Iran. C'est son pays". </span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 12pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Pour elle, c'est différent. Diplômée d'architecture, professeur à l'université, elle s'envole dans trois mois pour Melbourne. Elle aussi, elle va y passer son doctorat. Mais elle, elle ne reviendra pas. "Ce qui va le plus me manquer quand je serai en Australie ? Les vieux bâtiments de Shiraz. Si tu savais comme j'aime me balader dans cette ville, passer mon après-midi dans les jardins, dessiner les vieilles maisons... Oh, et bien sûr, la cuisine aussi, ça va me manquer." Mais pas la famille, pas spécialement. Sareh rigole : "Je suis la moins iranienne de la famille ! Je ne suis pas vraiment attachée à toutes ces valeurs familiales. Et il n'y a pas que ça. Ma sœur aînée s'est mariée avec son premier copain, mon autre sœur n'en a eu qu'un et je crois bien que la plus petite n'en a jamais eu. Et moi... Ouh là là ! Je ne peux même pas les compter !". Et elle ajoute, après un silence : "Au fait, je vais boire du vin, demain avec des amis. Tu veux venir ?".<br />
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On serait tenté, à voir cette drôle de fille qui slalome en professionnelle dans les embouteillages en écoutant de la pop américaine, les cheveux à l'air libre, et qui remet son foulard avec juste ce qu'il faut de nonchalance et de désinvolture quand elle s'arrête aux feux rouges, d'en faire comme un symbole politique. C'est là le vice de la République Islamique de faire du moindre geste de n'importe quel citoyen, et surtout de n'importe quelle citoyenne, quelque chose de politique. C'est vrai, être rebelle en Iran, c'est laisser dépasser un peu trop de cheveux, ou rire un peu trop fort, ou c'est boire un verre de vin en cachette chez des amis. Mais Sareh ne se résume pas à ça. Sareh, c'est juste une fille chouette, artiste et dragueuse, cultivée et futile, rebelle c'est vrai, mais un peu par conviction et beaucoup par plaisir. Une fille qui quitte l'Iran parce qu'elle ne supporte pas la condition des femmes ici, mais aussi et surtout parce qu'elle pense avoir plus de chances de réussir sa carrière ailleurs.<br />
Je suis entrée en Iran en cherchant inconsciemment des signes politiques partout, les signes de l'oppression et les signes de rébellion, encore sous le choc de toutes ces images de juin 2009 et des milliers d'Iraniens dans la rue. Quelle erreur ! Sareh vient me rappeler avec ses conversations qui durent jusque tard dans la nuit et ses problèmes amoureux que l'Iran, n'en déplaise aux politiciens de toute sorte qui aimeraient le voir prospérer ou être rayé de la carte, c'est d'abord un pays qui pleure et qui rit, qui s'amuse d'un rien, qui palabre à longueur de temps, un pays qui vit.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Sareh n'est pas faite pour vivre en Iran mais s’il y a bien une ville qui lui ressemble et qui peut l'accueillir, ici, c'est Shiraz. Si Paris est une ville d'automne, Shiraz est définitivement une ville du printemps, joyeuse et tranquille, souriante et paresseuse. Les jardins éclatent partout dans les rues, les palmiers s'échappent de toutes les cours de maison. Shiraz est la ville des poètes, la ville du vin, la ville des roses et des cyprès. Il y a ici, même en pleine hiver, une certaine douceur de vivre, un raffinement tout persan qui se moque bien du reste du monde. </span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Il faut aller pour s'en rendre compte sur la jolie tombe du poète Hafez, où se pressent continuellement, peu importe l'heure et peu importe le temps, des admirateurs de tous âges qui effleurent la tombe du doigt, respectueusement, se récitent des poèmes ou ouvrent en solitaires leurs livres de Hafez pour y lire l'avenir. C'est une pratique bien courante ici : poser au maitre une question sur son avenir, ouvrir l'un de ses livres au hasard et y piocher deux vers. Ceux-ci sont si profonds, regorgent de tant de sens différents qu'il n'est pas rare qu'ils permettent vraiment de trouver une réponse à sa question. Et cela rend sa poésie, encore maintenant, si vivante et si proche de chacun que je comprends l'engouement des jeunes et leur rassemblement, ce soir, sur la tombe du grand poète.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Il faut aller aussi se promener à vélo par un vendredi matin un peu frais, une thermos de thé bien calée sur le porte-bagage, dans les rues de la jolie Shiraz, se perdre dans ces ruelles incroyables, croiser les pâtres et leurs troupeaux à deux pas de la plus grande artère de la ville, s'arrêter enfin manger des petits gâteaux dans l'un de ses improbables jardins, ouverts aux quatre vents, à l'ombre d'un palmier qui semble avoir été là depuis toujours, impassible et solitaire.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Il faut surtout emprunter enfin une voiture, la remplir en chemin de filles toutes plus maquillées les unes que les autres et qui entrent dans l'habitacle chargées de nouveaux parfums, souriantes et heureuses de vivre. Et se rendre ensemble et en secret chez un ami de Sareh, une grande salle plongée dans l'obscurité où quatre bougies allumées guident le chemin vers une petite table sur laquelle on aura disposé, miracle, quelques verres de vin rouge. Le vin de Shiraz a le délicieux goût du désert et de l'interdit, et nous le sirotons, tous ensemble complices, levant notre verre à la grandeur de l'Iran et la beauté de ce pays, et nous moquant bien, comme Sareh et comme Shiraz toute entière, de ces dirigeants rebutants que personne n'écoute et qui ne nous valent pas.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Et je repars, amoureuse folle de Shiraz.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">La route qui part de Shiraz et qui file vers le sud est un petit bonheur. Après ces lignes droites interminables qui semblent se perdre dans le désert, ces kilomètres entiers de poussière et de sable, il faut bien me frotter les yeux : au loin, ce ne serait pas... Un arbre ? Ce n'est pas un mirage : les oasis se succèdent, véritables tours de magie dans cet univers si austère. J'ai du mal à croire à ces orangers éclatants, à ces pelouses aussi vertes que des terrains de golf qui tout à coup bordent la route. Le désert de nouveau puis, quelques kilomètres plus loin, la même luxuriance. Les oasis sont de petits miracles. Et la vie qui en dépend y semble condensée, plus intense qu'ailleurs. Les villages que je traverse déballent à chaque fois leur étalage de richesse sur les trottoirs, dattes et oranges que l'on vend à la criée et avec le sourire, entre deux bouts de gazon. A-t-on jamais été plus conscient que dans le désert de ce que l'émergence de la vie compte de merveilleux et d'insensé ? Et l'a-t-on jamais mieux exprime ailleurs que dans le désert ?</span></div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-79572018973459916722012-01-17T10:48:00.000+01:002012-03-24T14:09:45.274+01:00Des martyrs et des oiseaux. Shiraz, kilomètre 7415<div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Les trois semaines écoulées ressemblent fort à des vacances au beau milieu de mon voyage. Trois semaines sans vélo et sans incertitudes, trois semaines partagées entre l'attente de mon visa indien à Téhéran et le doux plaisir des retrouvailles familiales à Ispahan. Trois semaines durant lesquelles ce fichu visa indien qui n'arrive pas m'oblige par manque de temps à renoncer à tout faire à vélo. Pour la première fois, je prendrai le bus sur cinq cents kilomètres. Cela ne se fait pas sans quelques pincements au cœur. Mais un voyage se nourrit aussi de concessions.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiV8WUEl2O2_PGf0v_L0DDSk_okDg1ipw-LjQnSkRlubW54j-50J1iTeuWv0kiCmhX8SPeyR-3Jqunt_hp85_Oh30KLFUuAfGOUfpc7lsXw-P-J-u1HV1GOQ6_nSI0hAv_VVHlS0yVhn5dO/s1600/P1030111.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300px" kba="true" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiV8WUEl2O2_PGf0v_L0DDSk_okDg1ipw-LjQnSkRlubW54j-50J1iTeuWv0kiCmhX8SPeyR-3Jqunt_hp85_Oh30KLFUuAfGOUfpc7lsXw-P-J-u1HV1GOQ6_nSI0hAv_VVHlS0yVhn5dO/s400/P1030111.JPG" width="400px" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Je loge dix jours durant chez Ruhollah, et me balade des heures durant dans cette capitale incroyable, l'une des plus polluées du monde où pourtant dans chaque rue coulent des petites rivières charmantes charriant l'eau des montagnes toutes proches.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Le week-end, il est rare que l'on reste à Téhéran. Mon visa indien est toujours en attente, alors j'accepte la proposition de Ruhollah : une petite escapade de deux jours à Mashhad, à la frontière afghane, l'un des principaux lieux saints de l'islam chiite, et pour cause : c'est là que l'imam Reza aurait trouvé la mort il y a près de douze siècles. Depuis, des milliers de croyants viennent pleurer chaque jour sur son mausolée... Pour moi, c'est peut-être l'occasion de me replonger dans l'ambiance de l'Achoura qui m'avait tant subjuguée à Tabriz. </span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Aller à Mashhad depuis Téhéran est tout un périple, et c'est ainsi que je me retrouve dans un compartiment pour femmes du train de nuit Téhéran-Mashhad, en compagnie de deux filles de mon âge. L'une est voilée des pieds à la tête, l'autre laisse négligemment tomber son foulard qui pendouillait déjà bien bas sur son cou dès que le train est en marche. Et la troisième, c'est moi, qui lance des sourires timides auxquels on ne tarde d'ailleurs pas àrépondre. Les filles parlent un anglais hésitant, on se comprend à demi-mot. Comme un fait exprès, cette nuit est la plus longue de l'année... Et en Iran, on la fête comme il se doit. Les filles m'expliquent les festivités : on se réunit en famille, autour du feu, et on passe la soiréeà se lire des poèmes et à manger amandes et noix. L'intérieur d'un compartiment de train est l'endroit rêvé pour cette occasion et nous grignotons nos fruits secs pendant que l'une d'elle essaie tant bien que mal de me traduire les poèmes de Hafez. Coupées du reste du monde qui se manifeste néanmoins de temps à autres par le biais d'un contrôleur venant vérifier que tout va bien et nous obligeant dans le même temps à remettre nos foulards, nous sommes comme dans un cocon rassurant et douillet. Le thé circule autant que les vers de Hafez ou d’Omar Khayyâm et je décide tout à coup que cette nuit dans ce train qui nous emmèneà l'autre bout de l'Iran sera ma nuit de Noël.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">A personne demain n’est promis.</span></i></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Garde en joie ce cœur plein de mélancolie.</span></i></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Bois du vin au clair de lune, ô ma lune, car la lune,</span></i></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Bien souvent brillera sans plus nous retrouver.</span></i></div><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhz47i2qZMs74uU6JH64CX8w6x_ig_ULbOQ-VvhikJTQDi9psdTBg_26wpZVrEoBdsCO9uvmhh2SfKG9wDlzvFmbTZhTC2eYcR0cNU97KZHUsAoDfjX6h48twPkFaKyysQEMQVT4OsLIQWN/s1600/P1030054.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300px" kba="true" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhz47i2qZMs74uU6JH64CX8w6x_ig_ULbOQ-VvhikJTQDi9psdTBg_26wpZVrEoBdsCO9uvmhh2SfKG9wDlzvFmbTZhTC2eYcR0cNU97KZHUsAoDfjX6h48twPkFaKyysQEMQVT4OsLIQWN/s400/P1030054.JPG" width="400px" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Au petit matin, je retrouve Ruhollah et je laisse là mes compagnes de voyage. L'Imam Reza m'attend.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Je suis partie de Téhéran avec un tchador qu'une amie de Ruhollah m'a prêté. Je me sens un peu anxieuse en quittant l'hôtel : les non-musulmans n'ont pas le droit de pénétrer dans le saint des saints. Je n'y serais pas allée par moi-même... Mais Ruhollah a insisté : l'imam Reza se fiche bien de qui est musulman et de qui ne l'est pas. Et il m'a invitée. C'est une affaire qui ne regarde que lui et moi. Après la fouille de rigueur à l'entrée du mausolée, je pénètre enfin dans l'enceinte. La nuit tombe doucement. L'ambiance est magique. Le lieu d'abord : les immenses places qui cernent le mausolée, toutes couvertes de faïences bleues, sont sublime. La coupole se dresse fièrement au second plan. Le soleil qui se couche darde ses rayons sur les carreaux, les rendant encore plus bleus qu'ils ne sont. L'endroit est l'un des plus beaux que j'aie jamais vus. Mais ce n'est pas ce qui rend cet instant magique. Ce qui m'enveloppe de toute sa chaleur dès que je pénètreà l'intérieur du monument, c'est ce murmure permanent, cette ferveur incroyable. Car le lieu est habité et tous ceux qui sont là se pressent pour la même raison : honorer la mémoire de l'imam et lui rendre hommage.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Au moment où nous nous approchons de la salle qui comprend la tombe de l'Imam, j'hésite encore un peu, mais Ruhollah me pousse : "Vas-y ! Je t'ai dit qu'il t'avait invitée !" Alors, j'entre. A l'intérieur, c'est la cohue. Les femmes se poussent sans ménagement pour aller au plus près de la tombe et pour avoir la chance de la toucher. Je dois faire attention en marchant à ne pas écraser toutes celles qui sont assises et qui inlassablement lisent le Coran ou prient. Il y a toujours du bruit ici, entre les murmures du Coran qu'on récite, les pleurs, les bruissements des tchadors. Je ne m'approche pas trop près, juste assez pour apercevoir la tombe tout en verre et les mains qui empoignent les barreaux, les femmes qui sanglotent, les pétales de rose que l'on jette sur la tombe. En quittant le lieu, je croise une femme en larmes, le téléphone portable brandi bien haut en direction de la tombe, pour que son interlocuteur de Téhéran ou d'ailleurs lui aussi puisse parler à l'imam et peut-être faire un vœu, lui qui n'a pas pu se rendre àMashhad. Quand je ressors, je retrouve Ruhollah et lui aussi est en larmes. Nous marchons un peu, sans parler, comme dans un état second. En apesanteur.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Le mausolée de l'imam Reza illustre bien toute la complexité et toute l'ambivalence du chiisme à l'iranienne. Ce mélangeétonnant de superstition pure et de véritable ferveur. Les deux sont intimement liées dans une union sacrée qui me dépasse un peu mais dont le spectacle me plait beaucoup. Ruhollah incarne bien ce double aspect de la religion, lui qui me confie aller voir l'imam Reza chaque fois qu'il a une décision importante à prendre, pour se porter chance autant que pour apaiser son esprit et pour trouver la bonne réponse, la bonne voie dans cette ambiance incroyable. On jette des billets de banque, pratique impie par excellence, à l'intérieurmême de la tombe de l'imam pour qu'il réalise nos rêves les plus chers, mais on pleure en un deuil éternel sa mort violente. L'imam est un maitre, un modèle et un bon génie, mais aussi un frère que l'on pleurera toute sa vie.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Ce culte des martyrs a un pendant beaucoup plus contemporain que je retrouve, lorsque je reviens àTéhéran, en visitant l'immense cimetière du Paradis de Zahra. Les cimetières iraniens sont des lieux de vie par excellence. On y vient toutes les semaines, on y retrouve ses amis, on y pique-nique directement sur les tombes, et on y pleure aussi bien sûr beaucoup ; mais en Iran, pleurer, c'est d'abord un témoignage de vie. Je me balade longuement dans les allées de ce cimetière qui n'a rien de joli mais qui respire une certaine forme de vie, et à voir toutes ces femmes qui pleurent et qui rient à la fois en déposant des pétales de fleurs sur la tombe de leurs parents, j'ai moi aussi le sourire aux lèvres. J'aime tant les cimetières... Comme toujours dans ces lieux, une certaine sérénité me gagne. Et puis soudain, j'arrive dans l'aile des martyrs.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Dans les années 1980, l'invasion de l'Iran par l'Irak de Saddam a donné lieu à une guerre qui a embrasé la région pendant huit ans. Huit longues années durant lesquelles les principales victimes mortes au combat n'étaient pas des soldats surentrainés mais des jeunes garçons sans expérience, dont certains n'avaient pas encore fêté leur treizième anniversaire. Leur rôleétait simple et clairement défini : marcher sur les mines pour libérer le passage aux armées plus expérimentées. Bien sûr, le gouvernement n'a pas hésitéà mener une abjecte propagande pour amener les adolescents à s'enrôler - sans prendre en compte d'ailleurs l'avis de leurs parents. Mais cette propagande se faisait sur un terreau déjà existant : ce culte du martyre qui envahit toutes les consciences, cette gloire du sacrifice ultime, cette exaltation de la mort pour servir une cause plus noble. Et aujourd'hui dans l'aile des martyrs, avec le souvenir des pleurs pour l'Imam Hossein ou pour l'Imam Reza, devant ces centaines de photographies toutes différentes et pourtant toutes semblables - des garçons plus jeunes que mon frère qui sourient d'un air à la fois revanchard et insouciant, aujourd'hui sur ces tombes, j'accepte de ne pas comprendre, de ne pas juger, ou peut-être que je refuse de comprendre, et moi aussi, je pleure.</span></div><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgyqQubAokMhCb574i95zwTerbQ5blGmiY-7g26RTTLlFK0sVXmGKuy8mtL4IYxNb_eISAZO-Y0_NkiE7VMBJ__hfscHUsNzNTDloPQuZgJuBCg-4A-LcniPR8KudObMkHFZ2yCMyt8xJ1X/s1600/P1030041.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300px" kba="true" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgyqQubAokMhCb574i95zwTerbQ5blGmiY-7g26RTTLlFK0sVXmGKuy8mtL4IYxNb_eISAZO-Y0_NkiE7VMBJ__hfscHUsNzNTDloPQuZgJuBCg-4A-LcniPR8KudObMkHFZ2yCMyt8xJ1X/s400/P1030041.JPG" width="400px" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Et puis, ma famille arrive et soudain tout est si facile. Qu'il est bon d'êtreà nouveau quatre et de se balader sans penser a rien dans les rues d'Ispahan la belle, l'envoûtante. C'est ici, et àShiraz aussi, que l'Iran montre, après son attrait évident pour la mort, à quel point il aime la vie. Tout, des coupoles des mosquées aux façades en émail, éclate de joie. Pas un monument, peu importe l'époque, qui ne soit envahi en peinture par les fleurs et les oiseaux. L'année commence dans la gaieté de l'art persan, et le temps des retrouvailles donne à tout l'Iran des couleurs nouvelles et rayonnantes.</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Apres dix jours, me revoilà seule. C'est dur, la solitude, et c'est cruel, quand on a retrouvé pour quelques temps le bonheur d'être entouré. Et au moment de quitter mes parents et de me retourner vers la longue année qui vient, je fais l'état des lieux. </span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;"></span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Est-ce qu'il m'en reste encore dans le ventre ?</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Ouf, encore un peu. </span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Est-ce que ça suffira ?</span></div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Consolas; mso-bidi-font-family: Consolas;">Inch'Allah....</span></div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com9tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-49071471760042496492011-12-25T10:14:00.000+01:002012-03-24T14:09:45.275+01:00Une hospitalité codifiée. Téhéran, km 6930<div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;"><em>Juliette nous offre ce texte en ce jour de Noël et vous souhaite de bonnes fêtes.</em></span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Les jours qui suivent mon départ de Tabriz sont très enthousiasmants : je chemine sur la Route de la Soie, et cette pensée me donne chaque jour des ailes. Le paysage qui borde ma route est sublime - aride, désertique et d'une immensité vertigineuse. Il me regarde avancer avec la même indifférence qu'il contemplait voilà plusieurs siècles les marchands qui reliaient la Chine à l'Europe. Les villes que je traverse gardent toutes des vestiges de cette époque mythique et je n'aime rien tant que me perdre dans les bazars qui abritent encore les caravansérails où venaient se reposer les voyageurs. Avec un peu d'orgueil, je m'y sens un peu chez moi. Même lorsqu'il ne reste plus que des ruines, j'entre dans chacun d'eux avec la rassurante sensation qu'ils m'attendent et que j'y ai droit. </span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Sur ma route, pas de chameaux couverts d'épices ou de tissus, mais des convois ahurissant offrant à intervalles réguliers des spectacles dont je ne me lasse pas: des camions qui transportent des tourets de plusieurs mètres de haut menaçant à tout instant de rouler sur la chaussée; des remorques charriant d'immenses câbles qui traînent sur la route et produisent des milliers d'étincelles sur leur passage. Des chargements divers et toujours surprenants : bidons de cuivre entassés, bonbonnes de gaz, imposants blocs de marbre. Les camions sont pleins à ras bord, mais les voitures ne sont pas en reste et débordent de partout. Des barres de fer de deux mètres de long dépassent des fenêtres et rasent ma tête à quelques centimètres à peine. La Route de la Soie est encore aujourd'hui le lieu des trafics les plus divers ! Au milieu de ces convois, des vieilles guimbardes pleines de monde - la grand-mère en tchador, le père qui roule comme un fou, la mère qui disparaît sous une ribambelle d'enfants sautant dans tous les sens - me doublent en klaxonnant. Quand je relève la tête, j'ai toujours la fugitive et très agréable vision de ces regards étonnés et incrédules braqués sur moi, qui s'éclairent de joie quand j'ose un sourire.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Les villages que je traverse en revanche sont uniformément lépreux et glauques. Les rues disparaissent sous la crasse, les bâtiments tombent en ruine, les maisons sont ceintes d'immenses murailles qui empêchent de voir à l'intérieur. C'est pourtant là qu'est la vraie richesse. Même dans les familles les plus pauvres, la pièce à vivre est douillette et chaleureuse. Les tapis qui couvrent le sol forment un cocon dans lequel chacun se blottit et regarde le temps passer. Les hommes enquillent les thés, les femmes aussi, entre deux aller-retour à la cuisine. On dort, on parle, on accueille le nouveau venu sans trop s'en faire. Et puis, soudain, annoncée par les parfums qui s'échappent des casseroles, c'est l'heure : on apporte la grande nappe qu'on déplie cérémonieusement à même le sol : elle se recouvre peu à peu du dîner du soir. En Iran, le repas se savoure bien avant la première bouchée : la table enfin mise se regarde avec gourmandise, et toutes ces textures mélangées mettent immanquablement l'eau à la bouche. Il y a les torchis, ces légumes marinés dans le vinaigre et dont les couleurs joyeuses se côtoient dans les petits bols disposés tout autour de la table ; les ramequins remplis de yaourt ; le plat de riz gigantesque et recouvert d'une gracieuse ligne de safran ; les pains plats que l'on fait passer à chacun. Et le plat enfin, trônant fièrement au milieu et exhalant ses effluves de cannelle, de curry, de curcuma. On sait recevoir en Iran, et chaque repas est une fête.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Une fête, un délicieux moment. Mais aussi l'occasion de s'adonner à un art aussi savoureux que redoutable pour l'étranger de passage : celui du tarof. Comprenez, celui des bonnes manières poussé à l'extrême. Trois semaines que je suis dans le pays et je ne le maîtrise toujours pas vraiment. Trois semaines que je commets impairs sur impairs en manquant forcement, à un moment ou à un autre, une règle de bonne conduite persane. Trois semaines que je ressors de chaque invitation un peu guindée avec de grosses douleurs dans le cou, à force d'être crispée deux heures durant par la peur de paraître impolie.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Le tarof, c'est d'abord une suite à peu près ininterrompue de formules de politesse, que l'on s'échange un peu tout le temps : en arrivant chez notre hôte, en voyant le plat arriver, en finissant le repas, en repartant après l'inévitable thé digestif. "Je suis ton mouton sacrificiel !" "Et moi, je suis ta pelouse !" "N'aie pas mal à la main !" " Et toi, marche sur mes yeux...". Dans chaque pays, les premiers mots que je dois apprendre d'urgence diffèrent. En Turquie, c'étaient les innombrables subtilités des liens de parenté. En Iran, ce sont ces formules de politesse surréalistes que je récite consciencieusement mais qui ne me permettent jamais d'avoir le dernier mot : on renchérit toujours derrière moi, et je clos systématiquement mes visites par un sourire un peu désarmé... Certains excellent dans ce domaine. Comme Reza à Tabriz, que je surprends au sortir du repas à remercier notre hôte. Il enchaîne les formules, un sourire béat et bienheureux aux lèvres, assurant avoir passé le meilleur dîner de sa vie. Après une bonne minute de remerciements élogieux, il se retourne vers moi, l'air à nouveau impassible, le repas déjà oublié.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">Mais surtout, le tarof, c'est, plus subtilement encore, l'art de ne jamais accepter quelque chose frontalement, de toujours arriver à ses fins de manière détournée. Cela m'en donne le tournis ; on commence ainsi toujours par refuser avant d'accepter : une invitation, un cadeau, le fruit qu'on vous tend, l'argent pour payer le taxi. L'interlocuteur insiste, on refuse de nouveau, il ne cède pas, on accepte à contrecœur en précisant que l'on se sacrifierait pour lui. Toute une mécanique que je suis loin de maîtriser. Voulant faire bonne mesure, je refuse ainsi chez Zahra le plat que l'on me tend au dîner, comme j'ai vu le reste de l'assemblée le faire. Mon hôte hausse les épaules, vaguement surprise, et le plat me passe sous le nez. Raté !</span></div><div class="MsoNormal" style="background: white; line-height: normal; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; line-height: 115%; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-fareast-language: FR;">"Je t'en prie ! Les invités, chez nous, ce sont comme des Dieux. Ou alors, comme nos meilleurs amis. Et puis, surtout... Ils attirent l'argent !". Voilà ce que me répond Rougayeh après que je l'ai remerciée (un nombre incalculable de fois, on l'aura compris) de m'avoir invitée. Les Iraniens aiment les invités, c'est vrai, et les ménagent et les comblent d'attention autant qu'ils le peuvent. Mais ils ne s'en cachent pas : accorder l'hospitalité, c'est aussi s'attirer les faveurs d'Allah ou de leurs Imams, et assurer la réalisation de leurs vœux. Un intérêt que personne ne cache et que l'on me révèle, les yeux brillants d’étoiles à l'idée de tout le bénéfice que l'on pourra retirer de la soirée. Je ne vais pas m'en plaindre : je goûte non seulement tous les plaisirs de la table persane, mais je permets en plus à mes hôtes de croire à leur bonheur prochain ! Et c'est bien souvent moi qu'ils remercient d'être venue jusqu'à eux... Sincèrement, sans tarof.</span><span style="font-family: Consolas;"></span></div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com23tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-39537149498196568482011-12-13T23:13:00.000+01:002012-03-24T14:09:45.275+01:00La mort de l'Imam. Zanjan, km 6620<i>Pas de photos cette fois-ci et un peu de retard: en Iran Juliette ne peut pas accéder à son blog</i><br />
<br />
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</style> <![endif]--> <div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">C'est peu dire que j'étais nerveuse au moment de passer la frontière. En amont, huit kilomètres de camions arrêtés le long de la chaussée annonçaient la couleur. En slalomant sur la bande d'arrêt d'urgence, entre les tables de pique-nique et les tasses de thé des routiers qui prennent leur mal en patience, mille questions se bousculent dans ma tête. Et s'ils fouillent mes affaires, s'ils tombent sur ma bombe lacrymogène ? J'ai bien pris soin de masquer l'énorme sigle OTAN qui barre la bombe de manière peut-être un peu trop provocante pour un pays tel que l'Iran, mais est-ce que ce sera suffisant ? Et ma veste, est-elle assez longue pour ce régime ? Et le foulard, assez sobre ? Il faut dire que la République Islamique nourrit tant de clichés et de représentations en tout genre... Déjà au consulat d’Iran, à Trabzon, au moment de faire mon visa, j’avais montré des signes impressionnants de nervosité - en témoigne l'inquiétude que j'avais éprouvée quand le fonctionnaire avait pointé du doigt le bas de mon pantalon. Qu'est-ce qui n'allait pas ? Une règle vestimentaire qui m'aurait échappé et qui allait déclencher les foudres des autorités ? Rien de tout cela - mon lacet était seulement défait, avais-je fini par constater avec soulagement.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">C'est pareil aujourd'hui. Je me fais toute une montagne de ce passage de frontière - et finalement, il ne se passe rien.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Les derniers mètres carrés de la route turque sont couverts de voyageurs descendus de leurs véhicules pour déballer leurs affaires devant les douaniers. Mais mon passeport européen me permet de passer devant tout le monde avec pour seule contrainte d'encaisser le sourire mi- amusé, mi- ironique du douanier qui jette un coup d'œil au spectacle ridicule de mon casque de vélo par-dessus mon voile... </span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Et me voilà de l’autre côté ! Dans ce terrible Iran qu'inconsciemment j'imaginais froid, totalitaire jusqu'au bout des ongles. Pourtant la première impression que j'en ai, encore coincée à l'intérieur du poste frontière, c’est bien plutôt celle d'un grand bazar. Deux hommes se disputent violemment derrière moi et en viennent aux mains sans que personne n'intervienne… </span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Les jours qui suivent mon arrivée sont mitigés. Les familles chez qui je trouve refuge le soir sont toujours accueillantes et extrêmement bienveillantes. Mais l'attitude des hommes que je croise sur ma route me pèse énormément. Plus qu'en Turquie, les regards sont souvent trop appuyés, les gestes parfois déplacés. Et à mon arrivée à Tabriz, la situation est telle que je suis fermée à n’importe qui. Je me mets des œillères, je me contente d’avancer sur mon vélo, sans répondre, même aux simples bonjours que j’entends sur mon passage. Je n'arrive pas à relativiser.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Alors pourquoi est-ce qu’à la sortie de Tabriz, toujours aussi fermée et paranoïaque, je décide de laisser sa chance à celui qui une fois de plus me demande de m’arrêter sur le bas-côté, plutôt qu'à n'importe quel autre ? L'intuition peut-être, ou le hasard. Pourtant je suis méfiante. Lui me parle un anglais balbutiant autant qu'enthousiaste. Il m'explique que les deux jours qui suivent sont des jours de fête en Iran, que sa femme et lui seraient très heureux de m'inviter à les passer avec eux. Je refuse, je veux continuer ma route, mais il insiste, je le regarde et, tout-à-coup, toute ma peur disparait. "Bon, c'est d'accord". En deux secondes, mon vélo est chargé dans la voiture et nous faisons demi-tour pour revenir à Tabriz. Pourquoi ai-je autant confiance alors que cela fait plusieurs jours que je me braque à chaque regard échangé ? Je n'en sais rien. Mais ce qui est sûr, c'est qu'un voyage se nourrit de ce genre de rencontres, de ces coups du destin qu'il faut savoir dans sa détresse reconnaitre et accepter. Et combien d'autres ai-je manqués ?</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Et me voilà invitée à l'Achoura par Rahim et Mariam, trentenaires curieux de tout, ingénieurs chimistes tous les deux. L'Achoura. Voilà plusieurs siècles, le petit-fils de Mahomet, Hossein, venu libérer une ville du désert qui l'appelait à son secours, est tombé après un valeureux combat sous les coups du tyran Yazid. Depuis ce jours les Chiites n'en finissent plus de le pleurer. Chaque année, sa mort donne lieu à un mois entier de deuil. Et à deux jours plus intenses encore, que je m'apprête à vivre avec eux.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Le lendemain, nous prenons tôt la voiture, accompagnés de Reza et Negar, un couple d'amis, pour nous rendre a une cinquantaine de kilomètres de la, chez la sœur de Rahim. C'est elle et son mari qui organisent la réception pour ces deux jours. La maison est bien sûr un lieu privé, pourtant ici les règles sont strictes : femmes et hommes sont séparés, les femmes au rez-de-chaussée, les hommes à l'étage. Me voilà donc logiquement propulsée du côté des femmes. Toutes sont en tchador, mais les plus jeunes lorsqu'elles entrent dans la pièce le laissent immédiatement tomber, pour découvrir des tenues beaucoup plus affriolantes et des décolletés parfois plongeants. Pourtant, le voile reste de rigueur et, bien sûr, tout le monde est en noir. On est en deuil, tout de même !</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Enfin, cela, cela ne se voit pas trop. L'ambiance est certes un peu compassée au début de la journée, et tout le monde se regarde en chien de faïence, assis en rond contre les murs, sur les tapis moelleux qui se couvrent de tasses de thé et de gâteaux. Mais peu à peu, l'ambiance se détend, et tourne à la réunion de famille agréable et conviviale. Je me demande comment cela se passe du côté des hommes. Aux alentours de midi, nous ne tardons pas à en avoir un petit aperçu. Un chanteur a été engagé <span> </span>comme il se doit pour pleurer la mort de l'Imam. Un chanteur qui officie bien sûr à l'étage des hommes, mais, miracle de la technologie, les femmes bénéficient aussi du spectacle grâce à l'enceinte rediffusant ses chants au rez-de-chaussée. "Allo ! Allo ! Un, deux ! Un, deux !". Le son est tonitruant et la surprise provoquée par cette enceinte qui s'est allumée d'un coup provoque des fous-rires incontrôlés chez certaines. Le chanteur commence ses homélies à la gloire de Hossein, et nous pouvons entendre derrière lui tous les hommes qui reprennent gravement les chants en chœur, et qui frappent leur poitrine en rythme. Lointain écho de l'assemblée des hommes où l'ambiance semble être au recueillement et à la solennité.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Un étage plus bas en revanche, il n'en est rien. Les grésillements de la sono sont insupportables. Les femmes crient à présent pour se raconter les derniers potins. Etrange contraste que cette voix qui s'élève pour se lamenter sur la mort de Hossein, et cette multitude de femmes discutant et gloussant comme si de rien n'était. Au moment où le chanteur, emporté par la gravité de l'instant, se met à sangloter pour de bon, Maryam n'y tenant plus grimpe sur le buffet avec toute l'agilité que lui permet sa tenue de deuil, et d'un geste espiègle débranche l'enceinte. Ca y est, chez les femmes, le chanteur a le sifflet coupé. Chez les hommes, le recueillement continue.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">L'ambiance paisible et détendue prend soudain fin après le repas, une fois la vaisselle faite. Avant même que j'aie pu comprendre quoi que ce soit, on me dirige vers une pièce minuscule un peu à l'écart de la salle principale. Toutes les femmes s'y trouvent déjà, et je suis l'une des dernières à y entrer avec Maryam avant que la porte se referme. Je lance un regard interrogateur à Maryam qui m'explique : "Les hommes ne peuvent pas manger à l'étage, ils doivent venir dans notre pièce à nous. En attendant, nous, on doit se cacher pour ne pas qu'ils nous voient !". Et elle ajoute : "Heureusement, ils ne sont pas comme nous, les femmes. Ils mangent et ne passent pas leur temps à bavarder. On n'aura pas à attendre trop longtemps !".</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Le temps d'un repas tout de même, qui me laisse tout le loisir de compter : dans six mètres carrés s'entassent pour une heure dix-neuf femmes et quatre enfants qui ne mettent pas longtemps à protester violemment contre l'atmosphère étouffante et surpeuplée de la minuscule pièce. Je les comprends...</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Si le premier jour du deuil n'y ressemblait donc pas vraiment, le second en revanche, c'est du sérieux. Chaque année, partout dans le pays, l'on rejoue dans des théâtres de rue la mort d'Hossein dans ses moindres détails. Lorsque nous arrivons, la cérémonie a déjà commencé. Sur la place du village, les comédiens en tenues bariolées et parfois même un peu burlesques déclament des vers, entourés de centaines de spectateurs habillés tout en noir. Le spectacle est impressionnant, et il dure plusieurs heures. La mort de l'Imam n'en finit pas. Il faut dire que chaque détail est rejoué minutieusement. Cà et là, parmi les spectateurs, j'aperçois quelques hommes pleurer, de plus en plus nombreux au fur et à mesure que les proches d'Hossein tombent un à un sous les coups de l'ennemi. Pour une occidentale pure souche, c'est tellement surprenant, ces larmes dont je n'arrive pas à savoir si elles sont sincères ou non ! </span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Mais je comprendrai mieux un peu plus tard. Negar, Maryam et moi cherchons un endroit pour profiter du spectacle. La meilleure place : sur le toit plat d'une des maisons qui jouxtent la place. Pour y accéder, on grimpe d'abord sur des toits plus bas, à mains nues ou par le biais d'échelles en bois dangereusement accolées au mur. J'ai l'impression d'être dans Aladin. Parfois l'euphorie tient à peu de chose, mais escalader ces murs en terre, dans ce décor grandiose aride et montagneux, c'est un peu réaliser un rêve d'enfance...</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Et au sommet, sur le toit le plus haut, le spectacle est incroyable. Des dizaines et des dizaines de femmes en tchador, assises en tailleur, me tournent le dos pour assister à la cérémonie en contrebas. Leur silhouette se découpe sur l'horizon désertique. Les vers des comédiens s'élèvent dans le silence religieux. Je m'approche pour, moi aussi, regarder. Le neveu de Hossein est sur le point de prendre les armes pour défendre son oncle. Je ne comprends pas les vers qu'il déclame mais je devine facilement sa ferveur et son courage. Et soudain quelque chose a changé sur le toit tout-à- l'heure silencieux. Chaque tchador se soulève doucement, en des soubresauts de plus en plus marqués. Ca y est, les femmes pleurent. Le toit entier n'est plus qu'un immense sanglot qui salue le courage du neveu de Hossein. Le temps est suspendu aux larmes des femmes. Leurs soupirs de détresse me donnent des frissons que je suis certaine de ne jamais oublier.</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt;">Nous redescendons. Maryam n'a pas pleuré, mais je la sens secouée. "Tu te rends compte, quand même, c'était un musulman, et ce sont d'autres musulmans qui l'ont tué..." Elle reste longtemps silencieuse, puis elle ajoute : "Tu sais, l'Achoura, c'est d'abord une fête pour nous rappeler qu'il y a un jour un homme qui est mort pour faire le bien. Et que pour cela, nous avons chacun le devoir de devenir meilleur jour après jour. De livrer notre combat personnel pour le bien".</span></div><div class="MsoNormal" style="background: none repeat scroll 0% 0% white; line-height: normal; margin-bottom: 0.0001pt; text-align: justify;"><br />
</div><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="color: black; font-family: Consolas; font-size: 10pt; line-height: 115%;">Le lendemain, revenue à Tabriz, je quitte avec un gros pincement au cœur Maryam et Rahim. Eux ne devinent pas à quel point ils ont été importants pour moi. J'ai un mal fou à refuser tous les cadeaux qu'ils me prodiguent et l'argent qu'ils s'empressent de me donner. Mais Maryam me réplique : "S'il te plait ! Ca fait partie des enseignements du Coran de donner de l'argent aux voyageurs. Et puis surtout, nous avons suffisamment honte de nous dire qu'avec ton voyage et ce qui te pousse à le faire, tu es beaucoup plus musulmane que nous, qui nous complaisons dans notre confort quotidien..."</span><span style="font-family: Consolas;"></span></div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com18tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-66771620966904823952011-11-27T08:56:00.001+01:002012-03-24T14:10:04.965+01:00Une fierté turque. Doğubayazit, km 5995<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhWCUN-y9ev9Qq7RdBQ2RtRcqBxxsmk9y8mdCHjE7h2Ss0pH-RiLuA7IPgLtUibiUuWmRaSv8pDZ4qpS5rFJH3wvgwLVC9ueGvhFV46DHB_X58xkSaJnjSTDUhBtu_v5jV__iFPXRHg-CvM/s1600/Resim+003.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhWCUN-y9ev9Qq7RdBQ2RtRcqBxxsmk9y8mdCHjE7h2Ss0pH-RiLuA7IPgLtUibiUuWmRaSv8pDZ4qpS5rFJH3wvgwLVC9ueGvhFV46DHB_X58xkSaJnjSTDUhBtu_v5jV__iFPXRHg-CvM/s320/Resim+003.jpg" width="320" /></a></div><br />
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Doğubayazit, à 30 km de la frontiere iranienne, au pied du Mont Ararat, reflète à elle seule toute l'ambivalence des sentiments que j'aie pu éprouver pour la Turquie depuis presque deux mois. Arrivez-y par une fin d'après-midi nuageuse, fatiguée, affamée, frigorifiée. Elle apparaitra comme une ville glauque au possible, combinant à la fois le côté peu amène de nombre de villes-frontières et l'aspect agaçant des bourgades conservatrices et étouffantes. Promenez-y vous après une bonne nuit de sommeil, un petit-déjeuner consistant et par temps dégagé,et son côté déglingué finira peut-être par vous séduire. Et le mont Ararat qui surgit au détour de certaines ruelles laissera enfin agir son charme, distillant à la fois ses légendes et une majesté inouie.<br />
A Doğubayazit je m'arrête quelques jours, quelques jours de néant pour faire le vide. Les villes-frontières abritent souvent tout à la fois les trafics les plus divers et les voyageurs au long cours qui après une longue marche hibernent quelques jours en attendant d'avoir retrouvé l'énergie nécessaire pour un nouveau saut dans le vide. Voilà ou j'en suis. A un tour de pédale de l'Iran, mais pas encore prête à y mettre les pieds. Valsant entre le manuel de turc que j'aimerais terminer, et celui de persan qu'il faudrait bien que j'ouvre. Essayant surtout de prendre, en quelques jours, le recul nécessaire sur mon aventure turque, pour arriver avec le plus de fraicheur possible et d'énergie retrouvée aux portes de la République Islamique. <br />
Je repense alors beaucoup à ces phrases entendues jour après jour, deux mois durant, et qui ont constitué une sorte de routine, tantôt amusante, tantôt franchement agaçante, me dévoilant quelques aspects insoupçonnés de la Turquie que j'ai admirés ou rejetés selon mon humeur du moment.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh_cPaVbWfQWsGjDu-iCR3Cu2p_zne7SyKoh9v9VLAL8bL2zKLPCkYgSzc9kvVKULjh-yhyphenhyphenVIyT3PWy1zK2OQxAeVhcTngjmkM1rJpedrOLhXHxSdoF35kdmxHw-LQqdINjr7cIr-EMdHWY/s1600/Resim+002.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh_cPaVbWfQWsGjDu-iCR3Cu2p_zne7SyKoh9v9VLAL8bL2zKLPCkYgSzc9kvVKULjh-yhyphenhyphenVIyT3PWy1zK2OQxAeVhcTngjmkM1rJpedrOLhXHxSdoF35kdmxHw-LQqdINjr7cIr-EMdHWY/s320/Resim+002.jpg" width="320" /></a></div><br />
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<u><b>"Tu connais Ataturk ?"</b></u><br />
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Ataturk est partout. Ataturk en peinture sur les façades des écoles, des gendarmeries, des mairies. Ataturk en statue dorée de trois mètres de haut dans des villes de moins de dix mille habitants. Ataturk dans les livres de classe, sur les calendriers, en magnets sur le frigo, en tatouage sur la peau des plus fervents. Les explications que l'on me donne parfois pour trouver des adresses en ville sont surréalistes. "Bon alors tu arrives dans la ville par l'avenue Ataturk. C'est la plus grande. Tu vas passer devant une petite statue Ataturk. Ne t'arrête pas. Il faut en fait que tu ailles jusqu'au parc Ataturk, et là tu m'attends devant la grande statue d'Ataturk."<br />
Ataturk, le fameux père de la Turquie moderne, on m'en parle comme d'un héros intouchable, capable de libérer le pays tout à la fois des puissances occidentales concupiscentes à la sortie de la Première Guerre, et des démons asiatiques qui l'auraient enfermé depuis trop longtemps dans les ténèbres pour en faire une puissance moderne et occidentalisée. Les historiens européens sont beaucoup plus nuancés. Mais ici, difficile de trouver une seule zone d'ombre dans la biographie de l'illustre homme.<br />
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Inutile de dire que lorsqu'à Samsun Cağan veut absolument m'emmener dans le musée Ataturk, je ne me fais pas prier. Les superlatifs pleuvent tadis qu'on passe devant des dizaines et des dizaines de photos retraçant le voyage d'Ataturk à Samsun, et des vitrines rutilantes exposant les objets qu'auraient touchés le chef d'état. La lettre qu'il a écrite depuis le logement qu'il occupa dans la ville et qui est exposée là est insignifiante au possible. Ce n'est pas une exaltatation de la République que se propose de faire ce musée mais bien une exaltation de l'homme. Une sorte d'icône sacrée. Drôle de pays qui se targue d'être moderne et éclairé, et qui se laisse aller depuis des décennies à un culte de la personnalité confondant.<br />
Et il est difficile d'en parler avec Cağan. Tout au plus ce matin-là verra-t-il un léger souci dans le fait que critiquer Ataturk aujourd'hui en Turquie soit passible de gros problèmes. "Mais de toute manière, à propos de quoi voudrais-tu qu'on le critique ? Et quand bien même il aurait fait quelques choses critiquables, mais honnêtement, j'ai du mal à voir quoi... Eh bien, le critiquer, ce serait comme critiquer mon père. Inadmissible."<br />
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Il faudra attendre mon passage en territoire kurde, après Erzurum, pour entendre dans une chambre d'étudiantes les seuls sons de cloche un peu divergeants. Hatice, fièrement, les yeux dans les yeux et devant toutes ses camarades qui se taisent, gênées, clame : "Eh bien moi, je suis kurde, et Ataturk, je ne l'aime pas !". Et elle ajoute en un murmure, dans le silence pesant qui suit sa sortie, en me désignant une autre fille qui baisse la tête : <br />
" Elle non plus, elle ne l'aime pas. Mais elle ne te le dira pas, elle a trop peur". Le visage de la jeune fille s'empourpre, et elle garde le silence.<br />
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<u><b>"Tu es musulmane,toi ?"</b></u><br />
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La question est récurrente. Chez tout le monde : les jeunes, les vieux, les Stambouliotes, les Kurdes. La question est posée l'air de rien mais la réponse est attendue avec fièvre. Je réponds, un peu à la va-vite, c'est vrai, que je suis plutôt de tradition chrétienne... Cette réponse est souvent suffisamment bouleversante. Parfois, dans les villages surtout, ma réponse est suivie d'un long silence. Il y a toujours une petite vieille pour répéter avec incrédulité, dans un murmure : "chrétienne... chrétienne..." comme effrayée tout à coup de sa propre audace à accueillir un chrétien chez elle. Une française d'accord, c'est concevable. Mais un chrétien ? on n'avait pas imaginé ça.<br />
Les enfants m'accablent de questions ésotériques, curieux et avides de réponses. "Mais alors, chez vous, vous priez quel Dieu ?". Benyamin, onze ans, me regarde de ses yeux noirs et attentifs. Que répondre à ça avec mes trois mots de turc ? "Ben, euh, le même..." Cela ne le satisfait pas tellement. Mais il y a chez beaucoup, à propos de la religion, une curiosité insatiable qui m'impressionne énormément. On veut savoir comment se dit la prière en France, comment elle se fait, qui sont nos prophètes, pourquoi les cloches des églises sonnent et comment on enterre nos morts. Et me voila à mimer toutes les pratiques d'une religion que je ne partage pas... Mais je suis sidérée par ce pays ou, avant de me demander comme dans beaucoup d'autres ce que l'on mange chez nous ou combien l'on gagne, on me demande comment l'on prie.<br />
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Souvent toutefois cette curiosité n'est pas désintéressée. Et mes réponses hésitantes ne sont pour beaucoup que la preuve éclatante que l'Islam est définitivement la meilleure des religions possibles. Özlem, le même âge qıe moi, me regarde avec un peu de compassion : "Il faut absolument que tu deviennes musulmane ! Tu te trompes en restant chrétienne." Je ne compte plus le nombre de fois ou j'ai entendu ces conseils péremptoires, agrémentés d'explications plus ou moins naives sensées me démontrer la supériorité de l'Islam et, bien souvent, d'une moue de dédain qui me choque. Cela m'attriste toujours un peu. J'aimerais tellement lui dire, a Özlem, l'émotion que je ressens à chaque fois que je rentre dans une mosquée, ou celle que j'aie eue quand j'ai entendu Salih, l'imam qui m'a si gentiment accueillie pour ma deuxième nuit en Turquie, appeler d'une voix sublime tout le village à la priere. Mais devant ses joyeuses pressions et l'intolérance incroyable dont elle n'a même pas conscience, je me renferme et je me tais.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEih2x-Q7TfDDpcQUD-3WsbqcydQZvj3wpK3bfZZpzVKtmb0tHoSYOXapDZ2_Q4iWMP_5XPSsiE_SaghsSXR5v6rCy9VXaQGOXkLBBhpgmePxuvV46J14-SjlnaPFu51a3bXTMr96iBhdczO/s1600/Resim+002.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEih2x-Q7TfDDpcQUD-3WsbqcydQZvj3wpK3bfZZpzVKtmb0tHoSYOXapDZ2_Q4iWMP_5XPSsiE_SaghsSXR5v6rCy9VXaQGOXkLBBhpgmePxuvV46J14-SjlnaPFu51a3bXTMr96iBhdczO/s320/Resim+002.jpg" width="320" /></a></div><br />
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<u><b>"Et l'histoire de Pasinler, tu la connais ?"</b></u><br />
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Pasinler, ou je m'arrête un soir, compte à tout casser une dizaine de milliers d'habitants. Coincée dans les montagnes, elle est l'archétype même de la bourgade turque ou il ne se passe pas grand chose et ou, en toute honnêteté, il n'y a rien à voir. Alors, ce qui s'est passé à Pasinler<b> </b>les quelques siècles passés, évidemment, je n'en ai pas la moindre idée. Je confesse mon ignorance, pressée de savoir ce que j'ai raté. Immédiatement, mes hôtes affichent une mine qui hésite entre l'étonnement incrédule et l'indignation : "Mais tu ne viens pas de me dire que tu avais fait des études d'histoire ?!"<br />
C'est récurrent depuis que je suis en Turquie. Chacun a à coeur de me prouver à quel point le pays peut se targuer d'avoir une histoire exemplaire et grande, de Gengis Khan aux souverains ottomans, d'Attila à Ataturk. Cette fierté souvent démesurée m'impressionne beaucoup, et me surprend, française qui n'ai jamais été particulierement patriote. Ici, c'est l'inverse, et cette démesure outrancière m'agace un peu, surtout quand j'en fais part aux Turcs et qu'on me répond... "Oui, enfin c'est un peu normal qu'on soit plus fiers d'être Turcs que vous d'être Français ! Vous n'avez quand même pas une histoire aussi impressionnante que la nôtre..." Je réprime un mouvement d'indignation et je m'étonne : ah, tiens, je serais un peu chauvine, quand même ?<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgx8jphnLu4Tk_4je4HAq9mh97rnkAMZ9wJkbfUm4tyXiVSRo3aeCwBzBnMlDWS6RMeNGN2ZEl4MK0_02lqn1Aep0C_14khyphenhyphenQ4q4ZikQrB54g6Zi5XBmkU-d5pxcJi7lQLS0viNTqCnoPhX/s1600/Resim+001.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgx8jphnLu4Tk_4je4HAq9mh97rnkAMZ9wJkbfUm4tyXiVSRo3aeCwBzBnMlDWS6RMeNGN2ZEl4MK0_02lqn1Aep0C_14khyphenhyphenQ4q4ZikQrB54g6Zi5XBmkU-d5pxcJi7lQLS0viNTqCnoPhX/s320/Resim+001.jpg" width="320" /></a></div><br />
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Je croyais arriver en Turquie sans rien en attendre et je me rends compte que j'étais finalement pétrie de clichés et d'idées toutes faites que le pays a, petit a petit, patiemment déconstruits. Cela ne s'est pas fait sans mal, ni sans douleur. Mais au moment de la quitter je suis reconnaissante à la Turquie de m'avoir montré qu'elle était infiniment plus complexe que ce que je croyais, moi qui étais prête à l'aimer toute entière, sans mesure.<br />
A l'heure de tourner la page il faudrait que je retienne la leçon, et que j'entre en Iran sans rien en attendre, sans rien en imaginer. Mais face a un pays comme celui-là, est-ce seulement possible ?<br />
Alors je me couvre la tête, je prends une grande inspiration, je ne réfléchis pas trop, et je le fais, ce saut dans le vide.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgH65vMx_NyersHU9T5tMjGHjlOYzuAQLaKG2NuuosclEfckbNtH8iqj6W9CEm36EX5HLLiWJp901Dkx7BRU8PSTfTw-SgmRUO9vadPfguy8eW8xSlXqnYgYQ77qeEY_xwJwQ5lwwscFETp/s1600/Resim+004.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgH65vMx_NyersHU9T5tMjGHjlOYzuAQLaKG2NuuosclEfckbNtH8iqj6W9CEm36EX5HLLiWJp901Dkx7BRU8PSTfTw-SgmRUO9vadPfguy8eW8xSlXqnYgYQ77qeEY_xwJwQ5lwwscFETp/s320/Resim+004.jpg" width="320" /></a></div></div>Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com9tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-30490617569568088002011-11-16T13:39:00.000+01:002012-03-24T14:10:42.315+01:00Mais comment tu as fait ? Erzurum, km 5740 <i>Merci a tous pour vos commentaires ou pour vos messages d'encouragement et de soutien... Je ne le répéterai jamais assez, ils me sont indispensables et imcroyablement réconfortants...</i><br />
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Je dois une fière chandelle aux Turcs : celle de me pousser à être de plus en plus forte. En Allemagne, en Roumanie, c'était facile. Tout le monde me chouchoutait, me répétait combien j'étais courageuse. Je partais le matin sous les regards d'admiration et avec la sensation tres agréable d'être quelqu'un que l'on enviait un peu. En Turquie, pas de cadeau. Le moindre signe de faiblesse, le moindre éternuement est vu comme la preuve éclatante de ma folie à vouloir continuer.<br />
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D'ailleurs, il y a quelques semaines encore, je n'étais pas loin de penser la même chose. De la Mer Noire à Erzurum, trois cols à 2000m d'altitude barrent fièrement la route. En Novembre, il neige à de telles altitudes. Je me le disais déjà à Istanbul : Erzurum, probablement, j'y arriverai en train... Je ne croyais pas être le genre de personnes à pouvoir relever des défis trop durs ou trop contraignants. Découvrir le monde, et à vélo, d'accord, à condition qu'il n'y ait pas trop de montées ni de vent de face, alors !<br />
Mais voila, les Turcs sont passés par là. Et à force de me répéter, tous les soirs sans exception, qu'à Erzurum je n'arriverai jamais, ils ont fini par réveiller un aspect de ma personnalité qu'étrangement j'avais un peu laissé en sommeil depuis le début de mon voyage : ma susceptibilité...<br />
Et au sortir de Trabzon, dernière étape sur la Mer Noire avant le début des vraies difficultés, bien sûr je doute un peu, bien sûr j'ai un peu peur, mais plus forte que tout, il faut bien l'avouer, une susceptibilité dévorante me donne des ailes.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhXbwLaVxQQc7RyR1qKaSk34oLZzcKvfeJp_Dhn4bMRZ5lfPYnSZ1680HvMpCyeU1GJO5D75cQ3BqNf8Z4lYrLgr0UavM0T4H0CJFVMDT1CBNAbkarLEyIf7KDIQO5PijSfiIPqIHWkUn37/s1600/DSCN1345.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhXbwLaVxQQc7RyR1qKaSk34oLZzcKvfeJp_Dhn4bMRZ5lfPYnSZ1680HvMpCyeU1GJO5D75cQ3BqNf8Z4lYrLgr0UavM0T4H0CJFVMDT1CBNAbkarLEyIf7KDIQO5PijSfiIPqIHWkUn37/s320/DSCN1345.jpg" width="240" /></a></div><br />
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L'étape du premier soir est magique. La Turquie tout entière se prépare à fêter la semaine sainte. Dans le village ou je m'arrête, affamée et transie de froid, la grand-mère accueille toute la famille pour l'occasion - ses dix enfants et ses innombrables petits-enfants. Certains viennent de loin, beaucoup ne se sont pas vus depuis longtemps. Pourtant, au milieu de toutes ces retrouvailles, la petite française arrivée là par hasard sur son vélo occupe une place de choix. On répète à l'envi aux nouveaux arrivants toute mon histoire qui s'enrichit à chaque nouveau membre arrivé de détails inédits. Au fil de l'apres midi, la maison se remplit de conversations, d'embrassades, de cris d'enfants qui galopent dans tous les sens. C'est la fête ! On me comble d'attentions autant que de sucreries et les enfants m'adoptent instantanément. Au milieu des sourires et des exclamations, ils sont heureux que je sois là et je le sens, et cela m'émeut terriblement. Bien sûr les mêmes mises en garde et les mêmes incompréhensions qu'ailleurs se répètent sur tous les tons. Mais à présent cela me tient moins a coeur. Je souris devant leurs airs incrédules, devant leurs "tu es folle !". J'essaie d'expliquer, et puis je passe à autre chose. Avec un grand sourire, tout passe, de toute manière... Il me suffit de savoir que je suis sur le bon chemin. Qu'importent les autres ! Moi, j'avance ! Je crois que ma sérénité, un peu retrouvée, et ma volonté, plus affirmée, se font ressentir. Mes hôtes eux aussi passent à autre chose.<br />
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Et c'est là que le voyage est beau : quand après cette période de doute et surtout d'incompréhension de l'autre, je peux surmonter cela et apprécier avec d'autant plus de force les petites choses qui nous unissent, eux et moi. Bien sûr parfois nous ne nous comprenons pas. Et alors ? Ce soir ils sont heureux de me voir chez eux et moi je suis heureuse, tellement heureuse, d'être avec eux et de partager sinon des idées, du moins des sourires et la douce chaleur du foyer.<br />
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Le lendemain, la semaine sainte commence et moi je me lance à l'assaut du col. Toute la famille est là pour me regarder partir. La route que je prends surplombe le village. Tant de gens sont passés dans la maison ou je dormais hier soir que, quand j'agite mes bras un peu à l'aveuglette au-dessus de ma tête pour un dernier adieu avant le virage, on me répond de toutes les fenêtres, de toutes les maisons. Le village entier me fête.<br />
Toujours poussée par ma volonté de voir ce qui se cache derriere ces sacrées montagnes, mais aussi par ces cris de joie qui résonneront dans ma tête plusieurs jours, je me lance enfin à l'assaut des cols.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgaxfuok0m49xdJiqBYXsbn2pCBhEyfDQg-nzI8GwO6oPH3boeAXypDegFmIOrp1ogV9U0sU0dIYXR1JkY7PZ8walCTK4sSiG72oZRS6N_7inEsiFPrBGwZ7PuZpXRroy8jJ1UsJ17AHfdR/s1600/DSCN1350.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgaxfuok0m49xdJiqBYXsbn2pCBhEyfDQg-nzI8GwO6oPH3boeAXypDegFmIOrp1ogV9U0sU0dIYXR1JkY7PZ8walCTK4sSiG72oZRS6N_7inEsiFPrBGwZ7PuZpXRroy8jJ1UsJ17AHfdR/s320/DSCN1350.jpg" width="320" /></a></div><br />
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Bien sûr c'est dur, bien sûr la neige ne me laisse pas vraiment de répit et le froid et le vent se combinent pour me mordre allègrement. Pourtant, il faut bien les passer, ces cols. Et je les passe. Et a chaque fois l'arrivée au sommet et la redescente me rappellent pourquoi je suis partie de Paris il y a quatre mois. Le paysage est somptueux. Les forêts qui s'étendent sur toutes les montagnes environnantes me jouent des tours. En un même regard j'embrasse à la fois les feuillus rougeoyants des couleurs de l'automne et les sapins couverts de neige de l'hiver. Tout est silence. Je repense au train que j'ai failli prendre. Et je me serais privée de ça ? Je cherche souvent les mots que je pourrais plaquer sur ces instants ou je releve la tete pour me retrouver seule face à la montagne. Je ne les trouve jamais, alors je ne pense plus à rien et je laisse un immense sourire me barrer le visage.<br />
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Et après le deuxième col, j'arrive à Bayburt. <br />
Ce jour-là, à Bayburt, c'est chez les Akkuş que je loge. Leur maison n'est pas dure à trouver : les Akkuş habitent dans l'immeuble Akkuş, propriété de la famille depuis des années. Ils en occupent tous les appartements ; c'est qu'il faut de la place pour loger Yurda et ses enfants, la grand-mère - au dernier étage - et le nouveau couple fraichement marié, au rez-de-chaussée.<br />
Ça ne chôme pas chez les femmes Akkuş. Yurda, la cinquantaine souriante, s'occupe de ses enfants, de la cuisine, du ménage. Tout juste s'accorde-t-elle de temps en temps une pause chez l'une ou chez l'autre de ses voisines pour un petit thé qui parfois s'éternise. <br />
Sa première fille, Anife, est toujours la premiere levée le matin. C'est qu'Anife étudie à l'université. Il faut la voir virevolter, se préparer, longtemps dans la salle de bain, choisir ses habits, se maquiller un peu et partir dans le froid, son sac à dos négligemment jeté sur l'épaule. L'année prochaine, Anife sera institutrice. Elle quittera la famille pour aller s'installer ailleurs, loin d'ici, peut-être à Ankara.<br />
Sa soeur Semra, de deux ans plus jeune, ne fera pas d'études. Elle est la deuxieme fille : celle qui reste avec sa mère, qui récure et qui cuisine, et qui attend le jour ou un homme l'emmènera dans son foyer. Elle s'y prépare et assume déja, jusque dans sa posture, son rôle de mère de famille.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg-RWGXuSqK4uYgG_zJFlCkolWo6Hup67ol7EcXK5wp4FeRBJYnFniRhXyesPEMjhbqgJS8EdiUOyUCMG7BjtnaR0QAIaDz_n9VGYsN7wJiPtLCTnLyxp0pJX5MJp7XaC3hYWlnKAFpYA1e/s1600/DSCN1365.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg-RWGXuSqK4uYgG_zJFlCkolWo6Hup67ol7EcXK5wp4FeRBJYnFniRhXyesPEMjhbqgJS8EdiUOyUCMG7BjtnaR0QAIaDz_n9VGYsN7wJiPtLCTnLyxp0pJX5MJp7XaC3hYWlnKAFpYA1e/s320/DSCN1365.jpg" width="240" /></a></div><br />
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Il y a une troisième femme qui s'active dans l'appartement de Yurda. Kübra a dix-neuf ans. Voilà trois mois qu'elle a épousé Bekir, le fils ainé de Yurda. Elle habite avec lui au rez-de-chaussée. Mais chez Yurda, la main d'oeuvre est toujours la bienvenue. Alors Kübra monte, chaque matin, défait les draps, plie les vetements de Tahar, le petit dernier, prépare le thé, fait la vaisselle.<br />
Les voilà, les femmes Akkuş, les abeilles travailleuses qui s'affairent toute la journée dans l'appartement. Yurda qui commande les opérations de sa voix forte et autoritaire de maitresse de maison, Semra qui obéit et qui apprend, Kübra qui s'active autant pour aider que pour plaire à sa nouvelle belle-mère. Quand un homme arrive, de temps en temps, le père ou Békir, elles se replient, silencieuses.<br />
Mais le soir, à partir de dix-neuf heures, les femmes s'en donnent à coeur joie. Elles arrivent, l'une apres l'autre - les tantes, les cousines, les voisines. Les petits gâteaux sont déposés, innombrables, sur les tables, en même temps que les marrons grillés, les noisettes, et quelques plats salés. Le thé est servi, une rondelle de citron dans chaque tasse. Les femmes assises en rond sur le tapis commentent leur journée, ressassent les vieilles histoires, se montrent les petits pompons multicolores qu'elles coudront plus tard sur leurs voiles. Le rituel est quotidien, tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre, et les hommes n'apparaissent pas, ou bien se tiennent à distance, en respect. Les femmes ne travaillent plus.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjmPmNML0FeyrpQKUxNWR1YWUbW1PSowa8lAOaq7jSkXhwTonAW9UZ6yApNi5XwXJeESlepNCsJWLsY4Ein2g_Oz-OBEmtLD0CzCknM_qQsA2nZNOPNVTyRyDa04TIWPZlhyDhCEnO44tVV/s1600/DSCN1358.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjmPmNML0FeyrpQKUxNWR1YWUbW1PSowa8lAOaq7jSkXhwTonAW9UZ6yApNi5XwXJeESlepNCsJWLsY4Ein2g_Oz-OBEmtLD0CzCknM_qQsA2nZNOPNVTyRyDa04TIWPZlhyDhCEnO44tVV/s320/DSCN1358.jpg" width="320" /></a></div><br />
Sauf une. Kübra, elle, ne s'arrête pas. Les petits gâteaux, c'est elle qui les a disposés. Le thé, c'est elle qui l'a préparé. Kübra est la nouvelle venue - et, de fait, elle sert un peu dans toutes les maisons de la famille élargie.<br />
De temps en temps, elle me rejoint. Elle regarde avidement toutes mes photos et m'interroge sur les pays que j'aie déja traversés. Quand j'avais raconté mon voyage le premier jour c'était la seule qui m'avait regardé avec des yeux ronds, grands ouverts. Quand les autres m'avaient comme a l'accoutumée asséné que c'était trop dur, impossible et absurde, elle les avait pour une fois contredit : "Attendez, mais c'est super ! Vous imaginez, aller de ville en ville, de pays en pays, les visiter, un par un...". Elle n'en était pas revenue.<br />
Et a présent, de temps en temps, entre la vaisselle et l'aspirateur, Kübra rêve avec moi. N'y tenant plus, je lui demande, déjà regrettant ma question : "Mais pourquoi tu ne fais pas d'études ?". Pour la premiere fois, l'espace d'un instant, elle quitte son air de femme au foyer modèle. Assise par terre en tailleur, elle lève les yeux au ciel pour répondre à ma question.<br />
" J'ai cinq grands frères alors, pour moi, c'était hors de question...<br />
- Mais toi tu voulais y aller, à l'université ?<br />
- Ben oui, j'aurais bien aimé, mais bon..."<br />
Nouveau roulement d'yeux, le même que celui de toutes les adolescentes qui un jour ou l'autre trouvent que leurs parents ont pris la mauvaise décision, mais qui acceptent et passent à autre chose. Le même que celui qu'elle fera quelques heures plus tard, quand toute la famille m'accompagnera visiter la ville, et qu'elle devra rester à la maison préparer le repas du soir. Minuscules instants de rebellion volés, avant que Kübra ne reprenne le rôle que d'autres lui ont assigné.<br />
<br />
L'ascension du dernier col est épique. La route n'est pas déneigée et mon vélo, transi de froid, peine à avancer. Je m'arrête régulierement pour tenter d'ôter la glace qui s'accumule sur mes pneus, entrainant des frottements supplémentaires qui me ralentissent irrémédiablement. Je sens que je me refroidis, penchée dans le vent glacé sur les roues de mon vélo, mais impossible de faire autrement... Les chiens eux aussi s'y mettent. Deux fois ce jour-là des molosses me harcèlent. Impossible de les semer. Il me faut m'arrêter, face à eux, crier, jeter des cailloux, me résigner et attendre de longues minutes qu'enfin ils s'éloignent et me laissent repartir. Je sens le froid partout en moi, et je n'arrive plus à me réchauffer une fois sur le vélo. Avancer, avancer, ne pas avoir peur... Comme une prière un peu grandiloquente je crie, rageuse, face au vent qui ne me laisse pas tranquille le poème de Nazım Hikmet que je récite depuis quelques jours déja.<br />
<br />
"<i>A Erzurum, l'hiver est rude mon enfant.</i><br />
<i>Les moustaches s'y givrent de glace.</i><br />
<i>On meurt debout à Erzurum,</i><br />
<i>On n'y accepte pas la défaite..." </i><br />
<br />
Enfin, le col arrive et avec lui le refuge a la porte duquel je tambourine, laissant enfin éclater ma peur maintenant que je suis hors de danger. On m'ouvre, la chaleur du poele agit comme un aimant. Je m'effondre épuisée sur le canapé du salon. Bien consciente, et un peu honteuse, d'avoir un peu joué avec le feu ce jour-là.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjEtU2Ow7F6lIzit_d9ureFtdH3IW_kUAmca5fnGHQfAwivTUdsbUKPATT9OC_mTLPnLI2jE0qARWUCX4857u2zKYKyXNT0-hkoPp8kTYgamYfketv6_5A0EHU2Q8uU30kobF8jtPAtgkvF/s1600/DSCN1353.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjEtU2Ow7F6lIzit_d9ureFtdH3IW_kUAmca5fnGHQfAwivTUdsbUKPATT9OC_mTLPnLI2jE0qARWUCX4857u2zKYKyXNT0-hkoPp8kTYgamYfketv6_5A0EHU2Q8uU30kobF8jtPAtgkvF/s320/DSCN1353.jpg" width="320" /></a></div><br />
<br />
Mais je l'ai fait, et je me découvre plus forte que je ne le croyais. Et c'est toute la Turquie qui me félicitera deux jours plus tard quand, un peu après le panneau Erzurum, m'arrêtant pour un thé plus que bienvenu dans une station service, le pompiste ouvrira de grands yeux incrédules en sachant que je viens de Trabzon, et passant enfin du futur au passé il ne me demandera plus : "Mais comment tu vas faire ?"... mais bien : "Mais comment tu as fait ?"Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com18tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-22344673908240315592011-11-03T15:02:00.000+01:002012-03-24T14:10:42.315+01:00Mélancolie noire. Giresun, km 5250Il y a de ces soirs, de ces endroits ou l'on n'est pas le bienvenu. Dans ce village boueux, désert, triste au possible, j'en ai la certitude. Les gens m'ignorent, les têtes se détournent avec dédain sur mon passage. Je peux voir, des maisons, les coins des rideaux se soulever doucement sur mon passage, se rabaisser ensuite. On ne répond pas à mes demandes, ou on m'envoie ailleurs, plus loin, ici non, ce n'est pas possible, dejà la porte se referme. Et soudain, sans crier gare, le desespoir éclate.<br />
Cela faisait quelques jours déjà que je trainais comme une mélancolie partout ou j'allais. La sensation de ne plus parvenir à partager comme je le voudrais, celle que malgré les belles rencontres et les moments d'humanité, l'on ne se comprenait pas vraiment, les Turcs et moi. <br />
Les différences de conception du monde parfois tiennent à un seul mot. A une négation, en l'occurrence.<br />
Dans les pays d'Europe de l'est, on me demandait très souvent si j'avais de la famille : on me posait alors d'innombrables questions à propos de mes parents, de mes frères et soeur, de mes beaux-frère et belle-soeur... Tout le monde y passait, ce qui montrait bien l'importance que la famille prenait dans la vie des gens. <br />
Ici, la question a changé. On ne me demande plus : "Et tu as de la famille ?". On me demande : "Mais alors, tu n'as pas de famille ?". Cela change tout. Parce qu'en Turquie la famille est tellement importante que quelqu'un qui part, seul, si longtemps et pour un but aussi flou, forcément n'a pas de famille. Et quand on apprend que, si, pourtant... On ne comprend pas. Ou on se méfie, un peu. On se demande bien quel genre de personne elle est, pour laisser ainsi les siens. Peut-être qu'elle est folle ? <br />
Voilà peut-être d'ou vient cette rudesse à mon égard, et cette volonté incessante, permanente, tellement minante, de me prouver que j'ai tort, qu'il faut que je m'arrête, que je rentre, maintenant. Tout ce que je veux entreprendre ici pose problème. Aller jusqu'à Bolu ? Problème ! Jusqu'à Trabzon ? Problème ! Et l'Iran ? Mais tu n'y penses pas ! Mais tu es folle ! Rentre donc chez toi ! Tu y seras mieux ! <br />
Regarder la météo à mes côtés est souvent la grande joie de mes hôtes. Ils attendent, en silence, avec recueillement presque, les températures des montagnes de l'Est. Istanbul, Ankara, Samsun... Enfin, elles arrivent ! Un sourire de triomphe se peint instantanément sur leur visage, ils me frappent la cuisse du plat de la main. "Ah ! Tu vois ! Je te l'avais dit ! Il fait beaucoup trop froid ! Rentre-donc chez toi !" Et pendant que je souris en essayant de montrer que toutes ces pesantes bienveillances ne m'affectent pas, un détail me revient. Dans tous les autres pays jusqu'ici je m'amusais du fait que l'un des premiers mots que je parvenais à comprendre, souvent, c'était "courageuse". On me le répétait dès les premieres phrases de chaque conversation. En Turquie je ne sais toujours pas comment se dit "courageuse". En revanche, "folle", j'ai eu três rapidement à le chercher dans mon lexique.<br />
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Et dans la petite ville de montagne ou je m'arrête pour deux jours, histoire de souffler un peu et d'éviter les villages à l'atmosphère parfois trop pesante, c'est la police qui s'y met. Il ne faut pas me promener seule bien longtemps dans les rues escarpées d'Ilgaz pour que deux policiers zélés m'interpellent. Contrôle d'identité. "Mais pourquoi ?" La question m'a échappé. L'un des deux me regarde, indigné : "C'est la terreur, mademoiselle !". <br />
L'espace d'un instant, j'avais oublié. Ici, le terrorisme - bien réel il est vrai dans les montagnes de l'est - constitue pour tous une psychose récurrente. Il suffit de regarder le journal télévisé du soir pour le comprendre : la grande majorité des titres est consacrée à la terreur kurde sous toutes ses formes, meme lorsqu'il s'agit de diffuser un reportage sur le fait que les joueurs de foot de Galatasaray se mobilisent contre le terrorisme en portant des maillots particuliers. Cette angoisse permanente permet de justifier sans trop de mal le nombre impressionnant de policiers à Istanbul ou ailleurs et, donc, ce contrôle de police. Me voilà fichée, mes activités dument consignées, mon passeport photocopié et moi ramenée comme il se doit à mon lieu de résidence.<br />
Cela m'aurait étonnée que l'affaire s'arrête là. Le lendemain matin, mon passage au café internet ne passe pas inaperçu : trois pas esquissés dans la rue et c'est une voiture entière de police qui s'arrête à mes côtés. Le cybercafé est à huit cents mètres, et j'ai envie de marcher un peu ? Qu'à cela ne tienne ! La voiture me suit, au pas, sur toute la distance, pour vérifier que j'entre bien à l'endroit indiqué. Je m'installe à un ordinateur en maugréant. Les voilà plus ou moins rassurés, ils repartent en trombe. Pourtant, quand une heure plus tard je quitterai la ville à vélo, je n'aurai pas à être particulièrement attentive pour remarquer, pendant toute la matinée, cette voiture de police qui régulierement me dépasse, s'arrête sur le bas-côté, attend que je passe et recommence son manège... J'appuie très fort sur mes pédales. Je quitte la région avec la désagréable sensation d'être suivie.<br />
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A force de trainer sa mélancolie et de tout faire pour l'ignorer, on se la prend en pleine face. La mienne a concrêtement pris l'allure d'une belle plaque de graviers bien cachée dans une descente. Trop tard pour l'éviter, mes freins crissent, mon vélo rue de droite et de gauche, et moi, je finis étalée sur la chaussée, le pantalon déchiré et les larmes qui coulent toutes seules... Je n'avais pas du ressentir cette douleur familiere depuis mes dix ans, celle des gravillons incrustés dans les genoux... Alors je pleure, je jure, mon amertume de toute une semaine remonte sous la forme d'une poignée d'insultes bien senties à l'encontre de mon vélo, de la route, de la Turquie, du monde entier !<br />
Ma bordée de jurons est interrompue par des pas précipités derriere moi. Une demi-douzaine d'élégants messieurs en costume trois pièces et attachés-case qui se rendaient probablement à une importante réunion à bord d'une immense voiture aux vitres teintées ont vu ma chute. En un rien de temps je suis entourée, réconfortée. On m'installe sur le bord de la route, on me tend un mouchoir... Je crois rêver : me voilà entourée de tous ces hommes d'affaires dont l'un me désinfecte à présent délicatement au Mercurochrome tandis qu'un autre prépare un pansement. J'ai un peu honte, tellement ma blessure est ridicule. Eux prennent la chose très à coeur, concentrés au possible sur mon genou. Un peu plus et je les imagine me dire dans un sourire amusé : "Alors, on coupe la jambe ?". Le pansement est fait, les hommes d'affaires sortis de nulle part peuvent repartir comme ils sont venus. La petite Juliette qui a à présent huit ans peut s'arrêter de pleurer. La Mercedes repart, et moi je cligne des yeux, et je me demande si j'ai rêvé...<br />
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Alors je repense à tout ça ce soir ou décidément toutes les portes se ferment. A toutes ces journées d'effort et d'incompréhension. A tous ces mystères que je n'arrive pas à percer. Et je laisse la mélancolie prendre le dessus. <br />
Voilà qu'on crache à mes pieds maintenant. C'est l'homme qui crache quand je lui demande si je peux dormir là ce soir. La femme, elle, aboie de la même manière que les chiens sur les routes à mon passage. La nuit tombe et moi je cherche toujours. Qu'est-ce que je fais là, dans ce hameau terrifiant ? Les croquantes et les croquants me ferment la porte au nez. Brassens en Turquie. Les larmes ruissellent, elles ne se voient pas avec toute cette pluie...<br />
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Et puis, enfin, Hussein me recueille, perdue que je suis. Il me fait des blagues pour sécher mes larmes, s'éclipse et revient avec des biscuits, des chips, et plein de minuscules poissons qu'il fait revenir à la poële dans de la chapelure. Il allume un bon feu de bois, me tend un thé trop sucré, mais j'ai tellement besoin de sucre, ce soir... Alors, c'est lui, l'Auvergnat de la chanson ! Un auvergnat musulman... Il faudrait en parler à Hortefeux ! Cela me fait sourire et de me voir sourire cela le fait sourire. Bien sûr, il ne comprend pas trop ce que je fais la. Il me demande, évidemment, si je n'ai pas de famille, et ne comprend pas quand je lui dis que j'en ai. Bien sûr, il se demande un peu pourquoi la Chine et pourquoi le vélo et pourquoi la solitude... Bien sûr, on ne parle pas la même langue, et toutes les questions que je voudrais lui poser restent bloquées dans ma gorge. Mais il est là, et ce soir dans cette petite cuisine, je me sens si proche de lui. Si proche.<br />
Et le lendemain, quand il me quitte, les larmes aux yeux, soudain je me sens si seule, si seule...Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com25tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-54839972072008726632011-10-21T08:44:00.000+02:002013-02-10T12:07:10.523+01:00Epreuves anatoliennes. Çerkeş, km 4700<div dir="ltr" style="text-align: left;" trbidi="on">
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J'y serai donc finalement parvenue, à l'Istanbul tant rêvée. Par une cinq voies. Quarante kilomètres d'hystérie urbaine, d'angoisse et d'excitation mêlées. Comme dans toute situation dangereuse, la règle est simple : surtout, ne pas montrer sa peur. Minuscule sur mes cinquantes kilos roulants, je bombe le torse comme je peux face aux camions de plusieurs tonnes qui s'insèrent régulièrement en me passant devant, derrière, en filant de tous les côtés. On me klaxonne, je n'entends plus que ces fıchus klaxons, il faut à tout prix que j'évite de penser que je suis coincée sur cette cinq voies sans échappatoire, que j'évite de penser tout court d'ailleurs, il faut seulement que j'avance, que j'avance encore et toujours, ça finira bien à un moment ! La route longe l'aéroport à présent, dans une descente à quarante kilomètres à l'heure, brusquement je n'entends plus les voitures, plus les klaxons, parce qu'un boeing décolle au-dessus de ma tête, que le bruit de ses réacteurs m'assourdit, et moi bêtement je ne peux détacher mes yeux de l'énorme oiseau d'acier qui semble surprendre le temps, fascinée et paniquée, pendant que les camions imperturbables continuent à zigzaguer pour éviter mon pauvre vélo.<br />
Quarante kilomètres. Alors c'est dommage mais quand soudain tout se calme et que je me heurte au Bosphore, à Sainte-Sophie et à la Mosquée Bleue, malgré tous les efforts que je fais, je ne parviens pas à être émue comme je l'ai si souvent été sur mon vélo au fur et à mesure que je me rapprochais de la ville. Accablée de fatigue, épuisée, je pense seulement confusément que dans une semaine, je revivrai le même enfer...<br />
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L'émotion viendra quand même, plus tard, mais tout doucement, progressivement. Flore, qui m'héberge trois jours et qui me raconte ses périples à travers l'Europe, me dit qu'à Sarajevo, elle n'a pas eu l'impression de découvrir une ville mais bien plutôt de rencontrer une personne. De mes longues promenades le long du Bosphore auquel je reviens toujours et que je ne parviens jamais à quitter, j'acquière progressivement la sensation que pour ma part, Istanbul cette semaine-là se confond avec une partie de moi-même. Un pied en Europe, un autre en Asie, en un aller-retour permanent qui lui donnent toujours l'impression d'hésiter. Ce n'est pas un hasard si je passe mes journées sur les bateaux qui relient inlassablement les deux continents. Je ne sais plus vraiment si c'est l'Europe qui me retient, si c'est l'Asie qui m'appelle. La ville non plus ne le sait pas. Pour elle comme pour moi, il y a un peu des deux, probablement.<br />
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Le départ d'Istanbul est épique comme je m'en doutais. Plusieurs centaines de kilomètres de zones industrielles hideuses cernent ma route : l'Asie se fait attendre ! Après ces longues journées de pédalage sans grand intérêt, la route se charge enfin de nouvelles promesses : une longue côte doit m'amener du niveau de la mer à 1300 mètres d'altitude. Les montagnes, enfin...! Las : comme dans un mauvais film policier, le brouillard s'abat au moment le plus délicat. En quelques minutes à peine, ma jolie route pleine de promesses se transforme en une brume qui semble ne plus jamais vouloir finir de s'épaissir. Je mouline dans la purée de poix. Je ne distingue plus rien d'autre que mes roues et, de temps à autres, en une vision hallucinée, les feux clignotants annonciateurs de virages qui surgissent devant mes yeux au tout dernier moment. La côte est raide et je m'y attendais ; sur ma droite le précipice doit probablement donner sur un joli paysage. Je n'en distingue rien. Au loin seulement, perdu dans la brume, l'appel à la prière d'un muezzin retentit. Ambiance...<br />
Le froid mordant, la pluie qui s'y met, le découragement, la solitude de cette montée qui n'en finit pas... Et puis soudain, la délivrance : un village, enfin ! En deux minutes on s'approche de moi, m'invite pour la nuit. Je suis propulsée sans que j'aie le temps de m'en rendre compte dans une piéce illuminée, chauffée au poêle. On pose devant moi des tartines de miel et un thé sucré. Un gamin regarde Inspecteur Gadget à la télé. Soudain j'ai cinq ans. Je ne pense plus à rien, surtout pas au lendemain, je souris vaguement et m'endors dans la foulée.<br />
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La vie publique en Turquie est éminemment masculine. Impossible d'apercevoir une seule femme dans les cafés des villages qui pourtant ne sont jamais vides. Je n'y entre jamais de mon propre chef, intimidée par ce monde d'hommes dans lequel je suis forcément une intruse. Pourtant il est bien rare que je passe devant sans qu'un client m'apercevant de l'intérieur ne sorte m'inviter à boire un thé. J'hésite toujours un peu, impressionnée, gênée, consciente de ne pas être à ma place. Pourtant le froid a toujours raison de mes dernières tergiversations. J'entre alors, et goûte pour quelques minutes à la douce chaleur du thé sur mes mains glacées.<br />
De deux choses l'une alors : soit mon arrivée, le casque à la main, fait sensation, et l'on me le montre joyeusement. On se regroupe autour de moi, toujours à dıstance respectueuse toutefois, on me pose des questions, on m'écoute balbutier quelques mots. Les thés se multiplient, on apporte un jeu de backgammon auquel l'on ne me propose pas de jouer mais que je suis autorisée à regarder respectueusement. Difficile dans ces conditions de repartir, de refuser la tasse de thé qui se pose devant moi dès que je fais mine de me lever !<br />
Deuxième cas de figure : mon arrivée fait sensation mais on s'empresse de ne pas me le montrer. Je suis installée seule dans un coin du café. Les regards m'évitent soigneusement. Les conversations continuent mais à voix basse. Je bois mon thé, sort sans que l'on ne semble me remarquer. Avant d'enfourcher mon vélo, mon grand plaisir alors est de me retourner une dernière fois vers la vitrine du café et d'y apercevoir une demi-douzaine de paires d'yeux ronds qui suivent chacun de mes mouvements depuis ma sortie. Je fais un signe de main, l'accompagne d'un grand sourire : eux se détournent avec empressement et mon signe se perd dans le vide.<br />
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Le soir en revanche c'est autre chose et c'est la communauté des femmes qui me prend sous son aile ! Les rares hommes que j'aperçois dans les maisons sont distants et se contentent en me voyant de vagues hochements de têtes bienveillants. Les femmes en revanche sont curieuses, intéressées, outrées avant tout du sort que je fais subir à ma mère. Elles ne comprennent pas ce qui me pousse à partir ainsi. Je n'arrive pas à le leur faire comprendre. Les conversations sont encore laborieuses pour le moment. Alors le partage passe par autre chose : la nourriture. "Mange, mange !". Elles me regardent comme si j'étais folle, me le disent parfois. Elles me croient malade probablement. Mais elles me servent à manger, et moi je mange. Je mange ! Les voilà un peu rassurées sur mon sort.<br />
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Après quelques jours de pluie et de brouillard le soleil se montre enfin. Je peux profiter du spectacle. Et quel spectacle ! Je me répète sans fin ce mot que je charge de magie : Anatolie... Le paysage est dunaire, désertique au possible. Les villages se cachent derrière quelques collines, trahis seulement par les minarets des mosquées qui hérissent le décor. Rien ne bouge. Tout est serein. L'Asie s'est fait attendre mais enfin se dévoile...<br />
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Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com10tag:blogger.com,1999:blog-3457226485478080298.post-74608121770690629532011-10-11T08:21:00.000+02:002012-03-24T14:10:42.316+01:00La fin de l'Europe. Istanbul, km 4260C'est l'histoire d'une rencontre ratée avec un pays. Il faut dire que ça partait mal : plus rapidement encore que ce que je m'étais imaginé, la Bulgarie venait m'arracher au Danube. Je ne serais donc pas allée jusqu'au delta : ma route vers Istanbul me cueille alors qu'il reste au fleuve un peu plus de trois cents kilomètres à parcourir avant de mourir en mer Noire. A Silistra, je quitte le fleuve à regret après qu'il m'ait accompagnée sur qelques deux mille cinq cents kilomètres. J'ai toujours en tête cette histoire qui me suit depuis Kelheim : en sortant de la ville allemande, accompagnée par mon hôte Gabi et un peu inquiète de mon voyage à venir, quelque chose sur l'eau avait retenu notre attention. Flottant avec insouciance, retenue deux temps à autres par les roseaux qui bordaient le fleuve, une bouteille en verre nous avait fait de l'oeil. Dedans, un message ! Mon humeur maussade du jour m'aurait fait continuer mon chemin sans trop prêter attention à ces enfantillages. L'enthousiasme permanent de Gabi l'a fait sauter à l'eau en deux temps, trois mouvements. Et voilà la bouteille sur la rive et deux cyclistes émoustillées essayant d'extraire le fameux message...<br />
Le bout de papier ne comportait ni nom, ni adresse. Juste une phrase écrite en allemand au stylo bic : "Qui que vous soyez, bonne chance dans tout ce que vous entreprendrez !"<br />
Mon voyage avait reçu la bénédiction du Danube en personne, et quitter celui-ci à la frontière bulgare avait forcément quelque chose de l'ordre du crève-coeur.<br />
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Après Silistra donc, ma route sans plus aucun fleuve pour la border s'étire vers le sud. Les collines, jamais très hautes, qui se succèdent consciencieusement sur plusieurs centaines de kilomètres entreprennent un minutieux travail de sape. Surtout, mes soirées bulgares sont mornes et sans intérêt. Les portes s'ouvrent difficilement, je traverse le pays dans une indifférence quasi-générale. La Bulgarie me boude, et je le lui rends bien. Alors que la Roumanie m'invitait à flâner et à prendre tout mon temps, je traverse sa voisine en un éclair. Mais quand personne n'est là au matin pour me regarder partir, quand personne ne me pousse à grands renforts d'accolades vers l'étape suivante, je m'essouffle plus vite, ne comptant que sur moi-même.<br />
Du coup, c'est vidée que j'attaque une nouvelle côte. Je ne les compte même plus mais celle-ci, impossible de la franchir. A défaut d'un peu de réconfort, j'ai besoin de sucre. Arrêtée sur le bas-côté, mes tartines de miel dans la main, je m'efforce de me remonter le moral quand une voiture pile devant moi. Deux gars plutôt baraqués, l'air peu avenant, en sortent : la route est déserte et moi, pas très rassurée... Mais le premier instant d'auto-examen passé, ils me font de grands sourires un peu hallucinés : tout à coup c'est une avalanche de paroles qui s'écroule sur cette semaine passée dans le silence indifférent : qu'est-ce que je fais là ? d'où est-ce que je viens ? mais pourquoi ? Ils m'indiquent tout excités une source où je pourrais remplir ma gourde, insistent pour voir ma carte routièe et m'expliquer le chemin à prendre. Ils finiront par me laisser repartir non sans avoir une dernière fois demandé si j'étais bien sûre de ne pas avoir besoin d'aide. Les pauvres ont l'air déconfits de ne rien avoir à me donner qui pourrait m'être utile. Ils ne se doutent pas que ce jour-là ce sont probablement leurs attentions et leur sollicitude, leur intérêt à mon égard, qui me permettront de franchir cette sacrée côte et d'aller au bout de l'étape.<br />
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Et puis, je passe en Turquie, et soudain, tout se ralentit. Je dois m'arrêter régulièrement pour accepter le thé qu'on m'offre sur le bord de la route, je fais de moi-même des étapes moins importantes, j'ai de nouveau l'envie de me poser. Je commence à le comprendre : ce voyage n'a rien de régulier ni de linéaire. Rien n'est écrit, tout se construit, coup de pédale par coup de pédale. Et j'ai de nouveau des histoires à raconter, des rencontres qui surgissent à foison.<br />
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Sur la route qui décidément n'en finit pas de monter et de descendre, le tenancier d'un improbable boui-boui, coincé entre deux stations service, me hèle. Je m'arrête : les hommes - camionneurs - qui sont là me font signe de m'asseoir, m'apportent un thé brûlant et revigorant. Avant même d'avoir réalisé, un plat de boulettes de viande au riz est posé sur la table. Je n'ai pas à payer : un sourir au patron qui hoche la tête d'un air tranquille suffira. Alors que je mange mes boulettes de viande sous le regard amusé et intrigué des autres clients, on m'apporte, sans un mot, un livret défraichi. Je l'ouvre. C'est un livre d'or que les voyageurs, à pied ou à vélo, qui se sont arrêtés ici signent depuis 1982... Des petits mots d'aventuriers partis d'Allemagne, d'Ecosse ou de Fance, en diection d'Istanbul, de Jérusalem ou d'ailleurs, parsèment les pages de ce dôle de recueil. C'est comme si les voyageurs du monde entier s'étaient donnés rendez-vous dans cet endroit paumé, à plusieurs mois d'intevalle. Je laisse mon petit mot à destination des prochains qui s'arrêteront dans quelques mois. Et en sirotant mon thé, dans ce bouge hors du temps, je perds mon regard dans l'horizon d'où je viens, persuadée de bientôt voir surgir le futur cycliste qui passera par là...<br />
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Plus tard sur la route, c'est Mustafa et sa famille qui m'ouvrent leurs portes. L'invitation est venue comme ça, sans que j'aie rien demandé. Mais voilà : Mustafa est routier. Le voyage, il connaît.<br />
Voilà plus de vingt ans qu'il trimballe son camion sur toutes les routes d'Europe. Assis dans son fauteuil, une bière à la main, il m'égrène avec délice, comme si c'étaient des bonbons, les noms des villes qu'il a traversées, parfois seulement frôlées, du bord de l'autoroute : Milan... Monaco... Cannes... Il ne s'y est jamais arrêté, ne les a jamais visitées. N'en a jamais eu envie. L'important est ailleurs : dans cet appel plus fort que lui qui le pousse à bouger, sans cesse. A se sentir toujours un peu chez lui, toujours un peu étranger. Dans le drôle de rapport qu'il entretient avec les autres routiers, qu'il ne connaît pas, qu'il entrevoit seulement à travers le pare-brise de leurs camions, mais auxquels ils se sent indéfectiblement lié. Et avec qui, parfois, il lui est arrivé de partager des moments d'une intense humanité. Il me montre sur la table du salon une pile de cahiers qui s'entassent là, progressivement, depuis vingt ans : ses carnets de voyage. Vingt ans de sa vie. Tout y est consigné, les rencontres et les réflexions sans fin qu'il mène sans y penser pendant ses longues heures au volant. Il me raconte ses routes passées, bien sûr, mais invariablement il s'interrompt, rêveur. C'est qu'il pense sans cesse à un autre voyage : le prochain, toujours le prochain...<br />
Au matin je quitte Mustapha avec la curieuse sensation que l'on m'a ouvert une petite porte vers un monde que je n'avais même pas soupçonné. Si proche du mien pourtant. Et je reprends la route en souriant bêtement à tous les camions, même à ceux qui roulent un peu trop près de moi.<br />
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Et soudain, me voilà à Istanbul ; j'y resterai six jours. L'arrivée est laborieuse, dangereuse, interminable ; mais, tout à coup, je ne peux plus aller plus loin : le Bosphore me coupe la route. De l'autre côté, l'Asie et les montagnes qui perdues dans la brume me font déjà de l'oeil.<br />
Alors je repense à ces trois mois, au Danube, aux Portes de Fer, à chacune de mes rencontres.<br />
Bien sûr j'avais imaginé mon voyage avant de partir et bien sûr je rêvais alors beaucoup plus aux parfums d'Asie qu'aux plaines hongroises ou serbes. Mais lorsque je quitterai Istanbul, que d'un coup de bateau j'enjamberai le Bosphore pour l'Asie tant fantasmée, que j'entamerai un nouveau voyage bien différent de ces trois mois passés, je le ferai en me sentant plus européenne que jamais.Juliette Jacqueminhttp://www.blogger.com/profile/01487330881788122350noreply@blogger.com7